L'Entreprise 2.0 et le principe de subsidiarité (2)

Publié le par Bernard

Après avoir exposé ce qu'était le principe de subsidiarité dans un précédent billet, il convient maintenant de voir son application au sein de l'entreprise.

 

En effet, ce principe s'applique plutôt dans la société civile. Et pour bien resituer la subsidiarité, voici deux dernières citations de Olivier Drape dans "Le Principe de Subsidiarité" :

« En tout état de cause, il n'appartient pas à l'Etat de se substituer à l'initiative privée. « Lorsque celle-ci fait manifestement défaut, il doit avant tout s'efforcer de la susciter.

« Ainsi donc, la subsidiarité apparaît comme un "principe selon lequel toute l'ordonnance sociale s'édifie de bas en haut, de sorte que l'Etat n'intervient que comme dernière instance". (Arthur Utz). »

« L'Etat ne doit faire que ce qui ne peut être fait que par lui, mais cette mission comporte un double aspect :

  • - un aspect négatif: la fonction de suppléance qu'il exerce en cas de carence ou d'incapacité des particuliers ou des corps intermédiaires à subvenir à certains besoins fondamentaux;
  • - un aspect positif qui concerne ses prérogatives essentielles, les fonctions régaliennes qui ne peuvent relever que de lui (police, justice, armée, diplomatie ou finances générales...), mais aussi la nécessité d'harmoniser, de coordonner ou d'arbitrer, en vue du bien commun, les multiples manifestations de l'activité privée des personnes ou des groupes.»

Nous verrons l'application pratique de cette dernière citation dans l'entreprise.

 

Pour Philippe Pradines, « ce qui rend délicat l'application du principe de subsidiarité dans l'entreprise, c'est le fait qu'elle naît centralisée. On part de ce que fait le chef pour concéder en quelque sorte au subordonné une part de ses compétences et de son pouvoir de décision. Le processus part d'en haut, il s'agit de la délégation. Or la subsidiarité, c'est la délégation à l'envers. »

Autrement dit, à la création d'une entreprise, toutes les tâches ou fonctions sont regroupées sur une ou deux personnes : le ou les créateurs de l'entreprise. Ensuite, lorsque les effectifs croissent, il est nécessaire de redistribuer le travail et les responsabilités. Cela peut se faire de deux manières : par la délégation ou par la subsidiarité.

La délégation, c'est de confier à mon subordonné, ce que j'ai bien envie de lui déléguer. Je peux très bien lui confier ce qui ne me plaît pas et garder ce qui me plaît. Je peux aussi lui confier ce que je ne sais pas bien faire ou que je n'ai pas le temps de faire. Par exemple, je pourrai lui déléguer la conduite de tel projet important, mais je continuerai à contrôler toutes les factures et les notes de téléphone. Ou au contraire lui donner le contrôle des factures ou la rédaction de comptes-rendus et garder la gestion d'un projet important. Bref, la délégation, même si on trouve dans la littérature quelques règles pour savoir quoi déléguer, c'est de confier à autrui, ce que je ne peux, ne sais ou ne veux pas faire. D'autant plus qu'on parle en général de la délégation comme d'un remède à la surcharge de travail des managers.

Par contre, la subsidiarité consistera à reconnaître que mon subordonné est capable de s'acquitter d'un certain nombre de fonctions (y compris le contrôle des factures et des notes de téléphone concernant son service). Que ces fonctions sont parfaitement cohérentes avec la sphère dont il s'occupe. La démarche sera non pas de déterminer ce que, moi, je vais déléguer de mes attributions (car je les ai toutes au départ), mais plutôt de déterminer ce que mes collaborateurs sont à même de faire à leur niveau.

Philippe Pradines précise : « La subsidiarité oblige donc à construire l'entreprise d'en bas en donnant du pouvoir aux salariés qui, au cœur de l'action, sont à même de prendre les décisions. »

Un patron d'entreprise conservera les fonctions essentielles de stratégie, d'organisation générale de l'entreprise et de conservation des grands équilibres (financiers, humains). Mais selon la taille de l'entreprise, il pourra également conserver certaines fonctions non strictement indispensables en raison du faible nombre de collaborateurs ou d'une compétence particulière. Par exemple, souvent  dans les PME, le patron conserve soit la partie technique, soit la partie commerciale. Mais il ne faut pas que ça se fasse au détriment de ses fonctions essentielles.

Le patron devra de plus veiller à "harmoniser, coordonner ou arbitrer, en vue du bien commun, les multiples manifestations de l'activité privée des personnes ou des groupes." Autrement dit, il doit veiller à la coordination entre les différents services ou entre les personnes selon la taille de l'entreprise.

 

Ceci ne se fait bien sûr pas n'importe comment, mais en suivant les règles "techniques" de la délégation : contrat de résultat, négociation, règles du jeu, contrôle.

 

Lorsque j'étais chef de fabrication, puis directeur d'usine, j'ai toujours considéré mes contremaîtres et cadres comme les véritables patrons de leurs services.

Par exemple, je ne prenais aucune sanction sans leur aval. De même, c'étaient eux qui décidaient des augmentations de leurs personnels, dans le respect des règles du jeu. En cas d'embauche, leur voix était prépondérante. L'organisation de leur service dépendait d'eux. Je ne faisais jamais un tour d'usine avant que mes cadres l'aient fait eux-mêmes. Bien sûr, je ne m'interdisais pas de parler avec l'ensemble du personnel, mais j'évitais de court-circuiter mes cadres en donnant des réponses directement, alors que le problème dépendait du service. Pour reprendre des exemples donnés par Bertrand Duperrin, j'ai laissé la libre initiative des couleurs de certains lieux ou machines, avec parfois quelques surprises... Les 5S ont ensuite figé la règle...

Je ne dis pas que j'ai été un directeur appliquant parfaitement le principe de subsidiarité (je connais mes limites...), mais j'ai au moins essayé.

 

Un autre point noté par Michel Hervé (cité par B. Duperrin) avec lequel je suis en parfait accord, c'est le temps qu'il faut pour que les personnes prennent réellement en compte leurs (nouvelles) attributions. Cela dépend de la culture de l'entreprise, mais il ne faut rien brusquer.


Ayant exposé ce que peut être l'application du principe de subsidiarité au sein de l'entreprise, il nous restera à voir dans un prochain billet le rapprochement entre le principe de subsidiarité et le concept d'Entreprise 2.0.

En tous cas, merci à Bertrand Duperrin de son commentaire sur mon précédent billet, qui m'a permis de mieux comprendre sa pensée et de mieux appréhender ce qu'est finalement l'Entreprise ou le Management 2.0.

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