La planification stratégique (1) : douche froide chez France Télécom

Publié le par Bernard Sady

Dans le billet que j'ai écrit sur le livre « Un peu de désordre = beaucoup de profit(s) » d'Eric Abrahamson et de David H. Freedman, j'ai dit que si la thèse centrale était sans intérêt, il y avait, disséminées dans tout le livre, quelques vérités intéressantes.

En voici une première sur la planification stratégique. J'ai mis en gras les passages qui me semblent les plus importants.

Cette citation étant longue, je vais la répartir dans plusieurs billets. Ce premier billet introduit ce thème en décrivant l'intervention de William H. Starbuck chez France Télécom (pages 39 - 41) :

« Les grands cabinets de consultants d'entreprise, notamment ceux qui sont spécialisés dans les conseil stratégique - comme McKinley, Bain, The Boston Consulting Group, etc. -, s'arrachent chaque année les jeunes diplômés sortis premiers des meilleures écoles de commerce américaines. Il pourrait sembler surprenant que ces  brillants éléments ne se destinent pas, comme le veut la règle, à diriger des entreprises, mais ils ont manifestement d'autres ambitions. Ils préfèrent donner des conseils, plus particulièrement des conseils stratégiques. Ils ont été presque trois fois plus nombreux, ceux de la promotion 2004 de la Harvard Business School, à choisir le conseil plutôt que des postes de direction d'entreprise (ou susceptibles de le devenir). Les carrières du management ne viendraient qu'en troisième position des choix faits à la sortie des grandes écoles, loin derrière les banques d'affaires. Non seulement le salaire est communément meilleur dans les cabinets de conseil que dans l'industrie, mais, en théorie du moins, les chances d'y avoir une réelle influence sont beaucoup plus élevées. Car le consultant n'est pas cantonné à une seule entreprise. Il peut espérer fixer le cap de plusieurs sociétés sans nécessairement devoir payer de sa personne pour surveiller, dans ses détails les plus prosaïques, la mise en œuvre d'une stratégie. Sans non plus risquer d'y laisser sa peau en cas d'échec.

 « William H. Starbuck - sans lien de parenté avec les fondateurs de la chaîne internationale de coffee shops - fait indubitablement partie de ce petit monde, bien qu'il pratique une sorte de méta-conseil, s'occupant plus d'analyser les processus et les effets de la planification stratégique que de la mettre en œuvre stricto sensu. Comme nombre de ses confrères, il est entré dans le cercle fermé du conseil en stratégie par le biais de l'enseignement : il faisait partie de ces professeurs renommés que consultent les entreprises. Ainsi, l'unité de planification stratégique de France Télécom l'a engagé, pour qu'il vienne faire part de ses vues. Les cadres de cette unité avaient toutes les raisons de croire qu'ils s'adjoignaient les services d'un esprit supérieur, qui plus est très actif : Starbuck, professeur émérite de l'université de New-York, ancien président de l'Academy of Management, ayant appartenu, à un moment ou à un autre de sa carrière, au comité de rédaction de dix-sept publications professionnelles et enseigné un peu partout dans le monde, jouit d'une grande renommée. Quand bien même celle-ci ne serait pas parvenue aux oreilles des dirigeants de France Télécom, sa carrure de bûcheron, son crâne rasé et son regard d'acier les auraient assurés qu'il n'était pas le genre de personne à y aller par quatre chemins lorsqu'il avait quelque chose à dire.

« Ils ne s'attendaient pourtant pas à ce que Starbuck leur annonce qu'ils étaient un poids mort, eux et tous les cadres supérieurs de l'entreprise. De fait, l'assistance en resta bouche bée. L'attaque ne visait personne en particulier. Starbuck n'avait nulle intention d'insinuer que les stratèges de France Télécom ne servaient à rien. Cet expert respecté expliquait benoîtement que la planification stratégique, en général, ainsi que toutes les autres formes de prévision ou de planification à long terme, était une perte de temps. Ni plus ni moins.

« "Indiana" Starbuck, comme il se surnomme lui-même, voulait-il défendre sa réputation d'iconoclaste, par ailleurs chèrement gagnée ? Cet homme de plus de soixante-dix ans, qui fut éleveur de chats et développeur de logiciels, cet esprit libre, dont l'activité s'est étendue à des champs aussi divers que la sociologie, la psychologie ou les mathématiques, dont le titre officiel est "professeur de management de la création", se vante ouvertement de proclamer des contrevérités dans le seul but de "confondre" son entourage.

« Bien qu'il ne pût résister à lancer de temps à autre ce type de provocation, il devenait évident que sa sortie devant l'aréopage de France Télécom comptait parmi ses déclarations les plus suspectes... La planification stratégique formelle, qui était autrefois du domaine de l'armée, est devenue dans les années 1950 un enjeu important pour les sociétés commerciales. Elle l'est restée, sans solution de continuité, excepté dans les années 1980, où elle a connu une certaine défaveur, en réaction à l'obsession dont elle fut l'objet dans les années 1970. Aujourd'hui, les cadres dirigeants de la plupart des grandes organisations considèrent que la planification stratégique fait non seulement partie de la définition de leur poste, mais constitue l'une de leurs plus nobles missions. »

 

Après cette "introduction", nos auteurs entrent dans le cœur de l'argumentation.

La suite dans un prochain billet...

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Publié dans Stratégie

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