Entreprise 2.0 = Entreprise du troisième type ? (2ème partie)
Après avoir commenté la première "perturbation" (« Economie : un cycle vieux de trente ans s'achève. Et après ? ») du document publié par blueKiwi en septembre dernier « L'Entreprise 2.0 - Comment tirer profit des Réseaux Sociaux Professionnels ? », je m'attaque à la deuxième "perturbation" « L'Internet tient sa promesse initiale. Et l'entreprise reste au bord de la route... »
La première partie explique l'histoire du Web et le passage « du Web 1.0 au Web 2.0 » :
« Sous des acronymes divers, il a effectué ses premiers pas dans les années 60. Mais il faudra attendre l'avènement du World Wide Web au milieu des années 90 pour qu'il devienne une réalité et s'érige en un véritable phénomène de masse au début des années 2000. » Le web était inconnu de "L'Entreprise du troisième type". Je ne ferai donc pas de comparaison avec ce livre, même si les technologies de l'information « nouvelle ressource majeure de l'entreprise » ne sont pas ignorées. Ce constat confirme mon opinion sur le fait que l'Entreprise 2.0 n'est qu'une resucée de "L'Entreprise du 3ème type" à la sauce Internet.
Cependant, cette seconde "perturbation" nécessite quelques commentaires.
Revenons donc au texte de blueKiwi qui ajoute : « Pourtant sans jamais vraiment tenir sa promesse d'origine, celle de fournir un espace d'échange entre ses utilisateurs. Le web, à cette époque, est essentiellement un outil de distribution de contenus, le plus souvent générés par des professionnels (entreprises, médias), peu fréquemment renouvelés, à destination d'un public passif. Passif puisque se comportant essentiellement comme des récepteurs sans aucune possibilité d'interagir ni avec l'émetteur ni au sein du public d'un même média. Finalement simple transposition en ligne des médias traditionnels il ne drainera ni l'activité ni le public attendu, loin des attentes qu'il avait fait naître. »
Ici, blueKiwi fait un anachronisme. En effet, un article sur le site du CERN (Organisation Européenne pour la Recherche Nucléaire) explique que « Tim Berners-Lee, un informaticien du CERN inventa le World Wide Web en 1990. A l'origine, la Toile (ou le Web, comme on le surnomme) fut conçue et développée pour répondre au besoin de partage d'informations entre scientifiques travaillant dans différentes universités et instituts aux quatre coins du monde. » Et plus loin : « L'idée de base du WWW était de combiner les technologies des ordinateurs personnels, des réseaux informatiques et de l'hypertexte en un système d'information mondial, puissant et facile à utiliser. » Si on lit l'ensemble du dossier « Le berceau du web » sur le site du web, on comprend que l'objectif du CERN était la diffusion d'informations à l'attention de tous les scientifiques de l'organisme. Il n'est nullement question d'espace d'échange type Facebook, ni de créer une encyclopédie collaborative type Wikiédia, ni de créer un vaste blog avec possibilité d'interagir avec les rédacteurs des articles. Ces éléments favorisant l'interaction sont arrivés ensuite, comme l'explique un autre article du dossier du CERN : « Fin 1994, le Web comptait 10 000 serveurs, dont 2000 à usage commercial, et 10 millions d'utilisateurs. Le trafic était alors équivalent au transfert de la collection complète des oeuvres de Shakespeare à chaque seconde. La technologie continua de progresser pour satisfaire de nouveaux besoins, dont la sécurité et le commerce en ligne. »
En fait, les besoins ont poussé à de nouvelles évolutions technologiques qui ont fait se créer de nouveaux besoins, qui à leur tour ont poussé à de nouvelles évolutions technologiques, etc. Et nous en sommes arrivés aux technologies actuelles dites du Web 2.0. Cette notion de « promesse d'origine » est une invention de blueKiwi...
Continuons notre lecture : « Arrive ensuite une période charnière : l'utilisation en 2004 par O'Reilly Media du terme web 2.0 pour désigner ce qui semblait être plus qu'une simple évolution, mais ni plus ni moins tenir sa promesse originelle : être un espace d'échange entre ses utilisateurs, leur permettre d'interagir, de (co)construire des contenus, de désintermédier leur relation. En une phrase : l'utilisateur consommateur passif cède la place à l'acteur. »
BlueKiwi affirme que le web 2.0 est une rupture, pas uniquement une « simple évolution » qui aurait tenu la promesse initiale du web... De la même manière qu'il n'y a jamais eu de promesse initiale du web, il n'y a pas eu non plus de révolution... mais une « simple évolution » dans la manière d'interagir avec ses collègues. Avant, l'interaction se faisait par contact direct, ce qui n'était pas toujours le plus facile, je l'accorde. Avec les outils du "Web 2.0", cette interaction a été rendue plus aisée.
Revenons au document de blueKiwi.
Une deuxième partie de cette "perturbation" décrit « les piliers du Web 2.0 » : technologies permettant le partage, interfaces légères et simples d'accès, usages nouveaux, généralisation des liaisons à haut débit.
La troisième partie explique qu'« au-delà d'un réseau, le web est devenu une plateforme » qui « permet de publier de l'information sous n'importe quelle forme : texte, image, son, vidéo... et même de la concevoir et la faire évoluer à plusieurs. Cette information n'est pas prisonnière de son lieu de publication d'origine : elle peut être reprise ailleurs, agrégée avec une autre, redirigée puis republiée. Le tout avec des outils simples permettant à chacun de construire sa propre "supply chain d'information" pour que l'information souhaitée vienne à lui automatiquement sans avoir besoin de passer des heures à la chercher. »
C'est une bonne description de ce que permettent les derniers outils développés pour le web. Il y en aura d'autres qui répondront à de nouveaux besoins... On commence d'ailleurs à entendre parler d'un Web 3.0... pour l'Internet mobile...
La suite de cette partie développe cette notion de plateforme d'échange, jusqu'à la conclusion : « L'outil est devenu un prolongement naturel de l'activité humaine ce qui n'est pas sans incidence majeure quant à son adoption par l'utilisateur. La maîtrise de la technologie n'est plus un frein au développement des usages, raison pour laquelle le web 2.0 a si fortement impacté les habitudes et a fait venir à lui toute une catégorie de personnes qui n'avaient pas accroché à l'Internet des débuts. »
Oui, mais ceci s'est fait au fur et à mesure...
La quatrième et dernière partie de cette "perturbation" concerne les « nombreuses implications sur l'entreprise ».
La première remarque de blueKiwi est que « pour la première fois, les individus disposent à titre personnel d'outils de travail et de collaboration beaucoup plus performants et efficaces que dans leur cadre professionnel. » Ce qui est vrai. Bluekiwi en conclut que « les conséquences pour l'entreprise sont importantes. » Peut être...
BlueKiwi continue : « Le collaborateur est naturellement dans l'attente de pouvoir développer en entreprise les mêmes usages dont la simplicité et l'efficacité en matière d'interactions ont fait leur preuve dans sa sphère privée. » Sauf que ces interactions de la sphère privée sont essentiellement tournées vers les loisirs...
Et encore : « Sa performance individuelle repose notamment sur sa capacité à optimiser le traitement de l'information et à utiliser son réseau. S'il n'a pas accès aux technologies qui permettent d'y parvenir, il s'interroge et la frustration qui en découle est proportionnelle au manque à gagner en matière de productivité. » Mais la performance individuelle ne dépend pas uniquement de l'interaction de chaque collaborateur avec ses collègues. Et cette interaction ne se fait pas obligatoirement par les outils Web 2.0.
BlueKiwi note cependant un risque à ce manque : « Le collaborateur essaie donc de palier l'insuffisance des solutions mises à sa disposition en utilisant des outils grand public disponibles sur Internet à des fins professionnelles. » Ce n'est pas une bonne solution et « le danger est ici réel pour l'entreprise. Elle n'a en effet aucun contrôle sur l'infrastructure ni sur le degré de sécurisation. Les droits d'accès sont gérés par les collaborateurs eux-mêmes, ce qui pose un triple problème : ils invitent qui ils veulent, ils peuvent oublier de fermer le compte d'une personne quittant l'entreprise, ils excluent ceux qu'ils ne désirent pas voir se joindre à eux ou ceux qu'ils n'ont pas identifiés. » Et blueKiwi explique que cette utilisation d'outils grand public à des fins professionnelles n'est pas si rare : « un phénomène constaté à maintes reprises dans de nombreuses entreprises s'apercevant tout à coup que des outils grands publics ou des groupes Facebook avaient été utilisés comme plateforme d'échanges à leur insu. »
Mais la bonne solution de la part des entreprises n'est certainement pas de bloquer « l'accès à de tels outils depuis le lieu de travail ». Car « l'effet peut être fortement négatif notamment à l'égard des jeunes populations (selon une étude réalisée par TELINDUS 39% des 18-24 ans envisageraient de quitter l'entreprise si l'accès à des sites comme Facebook leur était interdit et 21 autres % en tireraient une mauvaise image de l'employeur) ». Mais par-dessus tout, pour blueKiwi « cela ne règle en rien le besoin premier qui est celui de collaborer et d'échanger plus efficacement. »
La conclusion de cette partie est rédigée sous forme de conseil donné aux entreprises : « L'entreprise ne peut dès lors pas rester au bord de la route car elle se prive des outils permettant de faire face aux enjeux stratégiques que sont le partage d'information et le travail en réseau ; elle crée un sentiment déceptif auprès de ses collaborateurs (voire, nous le verrons, un frein au recrutement de la nouvelle génération de jeunes diplômés) ; enfin elle prend le risque de voir se développer des initiatives pirates hors de son contrôle. »
Il faut cependant relativiser. Bien sûr que le partage d'information et le travail en collaboration sont importants, mais ce ne sont pas les outils en eux-mêmes qui vont régler tous les problèmes. Dans certaines entreprises, il y a une forte collaboration et un partage d'informations sans la mise en place d'outils Web 2.0. Par exemple, les entreprises "lean". Le "lean" est très largement antérieur à la mode "2.0". Le "TPS" (Toyota Production System), origine du "lean" s'est construit à partir des années 1950... Par exemple, voici ce qui est écrit dans "Objectif Lean" : « les opérateurs doivent discuter des problèmes dès leur apparition avec les chefs d'équipe, afin de les résoudre rapidement et d'éviter qu'ils ne mettent en péril la stabilité du système. Coopérer est tout aussi important. L'esprit de coopération concerne à la fois les relations internes au sein des équipes et des services et la façon dont les différentes fonctions travaillent ensemble. » (Objectif Lean - Editions d'Organisation - page 113).
Et inversement, la mise en place de tels outils ne veut pas dire que toutes les "baronnies" disparaissent et que la collaboration et l'échange deviennent automatiquement fluides.
BlueKiwi donne autant d'importance à l'"impatience" des internautes, à la nouveauté des outils, et à ce qu'ils apportent, pour continuer à développer son business qui consiste à proposer aux entreprises des solutions 2.0...
C'est de bonne guerre, mais c'est aussi mon humble contribution au management factuel de remettre les choses dans l'ordre.
Attention, je ne veux surtout pas dire qu'il ne faille pas utiliser d'outils 2.0. J'y crois, mais en tant qu'outils intégrés dans des entreprises où il y a déjà une bonne collaboration afin d'améliorer encore plus la performance. Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs.
Dans un prochain billet, j'aborderai la question de la fameuse génération "Y", objet de la troisième "perturbation".