Que se passe t-il sur le front économique ?

Publié le par Bernard Sady

Tout d'abord, il y a les "arrangements", "bidouillages" ou autres "tripatouillages"...

J'avais dénoncé début avril, la présentation des chiffres des ventes automobiles en France qui semblaient croître, alors qu'en réalité, c'était à une décroissance (faible, certes, mais décroissance tout de même et certainement pas une hausse !) qu'on assistait.



Un nouvel « arrangement » tout récent est celui de la présentation des résultats trimestriels des banques américaines.


C'est un article des Echos du 21 avril qui nous donne la clé de ce « concours de beauté » :


« "Ciel pommelé, femme fardée ne sont pas de longue durée". Les trimestriels des grandes banques américaines sont une nouvelle illustration de l'excellent proverbe, notamment pour Citigroup et Bank of America, les deux banques jugées les plus lourdes en risques par les investisseurs. Leurs chiffres sont meilleurs que prévu par les analystes mais la bouffée d'euphorie ainsi créée a été de courte durée car cette performance s'explique en partie par un effet d'optique comptable permettant à ces deux géants bancaires blessés par la crise de se montrer sous leur meilleur jour grâce à la dépréciation de leur propre dette et au retour en forme des marchés financiers. Lorsque l'on gratte un peu, les choses sont moins roses et même plus noires, la couleur de la récession traversée par les Etats-Unis. Aussi bien Citigroup que Bank of America constatent une flambée de leurs pertes sur crédit, en particulier dans le domaine des cartes de crédit et du crédit à la consommation. Quoi de plus normal, justement en baisse de cycle ? Le hic, c'est que ces ténors bancaires américains doivent passer le « stress test » concocté par les régulateurs américains pour les forcer à mettre de côté suffisamment de capital, ce qui rend ces provisions bien stressantes. Un vrai concours de beauté où les prétendantes devront poser telles qu'elles sont. »


Le problème, c'est que ces "stress tests" vont vraisemblablement se transformer finalement en « "fudge tests" : tests bidouillés », selon Nouriel Roubini, cité par Paul Jorion (sur son blog : "Le vrai et le faux canard"). Car « les chiffres utilisés par les autorités américaines dans les "tests de détresse" auxquels sont soumises les dix-neuf principales banques américaines, étaient d'ores et déjà enfoncés, qu'il s'agisse des chiffres du chômage (à la hausse), du PIB (à la baisse) ou de la chute du prix de l'immobilier résidentiel (à la baisse). »


C'est Loïc Abadie sur son blog "Tropical Bear" qui expliquait début mars ce que sont ces tests dans un article virulent intitulé : « Les banques US résistent-elles aux contes de fée ? »


« De savants économistes keynésiens ont donc planché sur le sujet pour nous sortir leur vision du "pire", c'est-à-dire leurs hypothèses de "stress test". Voici ces hypothèses : 

« Un taux de chômage de 10,3% en 2010.


« Une chute des prix immobilier restant à faire de 22%.


« Une récession de 3,3% en 2009, suivie d'une quasi- stagnation à +0,5% en 2010 (donc d'une sortie de récession à partir de la fin 2009). »


Il examine ces chiffres et les dénonce comme complètement irréalistes :


« Voyons ces points plus en détail, en se basant sur ce qui s'est passé au 4ème trimestre 2008, qui est un bon indicateur de ce que pourrait être la crise en "régime de croisière" :

 
« La récession y a finalement été de 6,2% en rythme annualisé. Il n'y a aucun argument sérieux permettant de croire que ce rythme ne sera pas maintenu, voire aggravé en 2009.


« Le taux de chômage a progressé de 2,3% sur l'année 2008, pourtant caractérisée par une récession encore légère aux USA (à l'exception du dernier trimestre). Sur les derniers mois, la hausse se fait au rythme de 0,4% / mois, soit 4,8% en rythme annualisé.


« Nous en sommes actuellement à 7,6%, ce qui donnerait un taux de chômage supérieur à 12% fin 2009 et supérieur à 16% fin 2010 si les choses se maintiennent en l'état.

« Quant à l'immobilier, non seulement il n'y a aucun signe d'une fin de baisse, mais la situation continue de se dégrader rapidement. Les permis de construire et les ventes de logements neufs sont au plus bas de leur histoire, depuis plus de 45 ans, alors que dans le même temps la population américaine a doublé (ce qui signifie qu'en théorie le rythme d'activité immobilière aurait du en faire autant). La demande a tout simplement disparu.


« Enfin, le taux d'épargne confirme son rebond : les ménages qui en ont encore les moyens commencent à prendre peur et à faire des réserves au lieu de consommer. Là encore, c'est une excellente chose sur le long terme, qui marque le passage à un autre système que celui de la fuite en avant. Mais à court ou moyen terme, cela signifie moins de consommation et plus de récession.


« Dans ce contexte, le "pire" imaginé par l'équipe d'Obama n'est en fait qu'un sympathique miracle qui n'a quasiment aucune chance de se réaliser...Il nous montre simplement que nos économistes keynésiens n'ont toujours rien compris à la crise en cours, et qu'ils continuent de croire que les choses vont s'arranger d'ici 6 mois ou un an. »


C'est exactement ce que confirme Nouriel Roubini un mois et demi plus tard. 

Mais il y aura vraisemblablement "bidouillage" comme le dit très bien Jorion dans la conclusion de son billet : « Le 4 mai, le Trésor annoncera le résultat de ses "fudge tests", pardon "stress tests" : on apprendra que 19 banques sur 19 passent l'épreuve haut la main et avec un peu de chance, le marché de New York - bien déprimé aujourd'hui (-3,56 %) - repartira à la hausse. On entendra cependant des bruits bizarres en arrière-fond : coin-coin-coin-coin ! Le vrai canard, c'est là qu'il sera. »


Nous voilà donc prévenus...



Il y aurait par ailleurs des "frémissements" ou des "signes de reprise". Beaucoup en voient... ou croient en percevoir... Surtout chez nos gouvernants...


Les dernières prévisions publiées aussi bien par l'OFCE que par le FMI font voler en éclat tous ces "signaux faibles"...


Favilla, dans sa chronique des Echos du 21 avril parlait de « trompeuses éclaircies » : « Il flotte ces jours-ci comme un air d'embellie dans les milieux de marché. Après de longs mois d'analyses sinistres, cela apporte aux opérateurs un soulagement longtemps désiré. C'est la raison pour laquelle il est prudent de le considérer avec circonspection. [...]Quand elles rejoignent à ce point les intérêts d'une corporation, qui est de restaurer son activité, elles méritent au moins un examen de sang-froid. »


Et il cite le rapport du FMI expliquant que « sur les bases d'une analyse des crises économiques sur longue période, celles liées à des crises financières sont en général les plus graves et les plus durables. Et qu'en l'occurrence celle-ci entraînera probablement "une baisse de la production d'une gravité et d'une durée inhabituelles" ».


Le coup fatal à cet optimisme est porté par Daniel Fortin dans Les Echos de ce jour « Douche froide » : « C'est l'histoire du maître d'école faisant irruption dans la classe pour siffler la fin du chahut. »


Et il cite également le rapport du FMI : « Dans son rapport sur la stabilité financière dans le monde, publié hier, le Fonds monétaire international a brutalement rappelé à l'ordre les indécrottables optimistes qui se prenaient à gloser sur la date d'une éventuelle sortie de crise. A commencer par les marchés qui, à Wall Street comme en Europe, s'étaient offert six semaines de rémission sur la foi d'indices macroéconomiques intermédiaires meilleurs qu'attendu. Les voilà invités à plus de prudence, ce qu'ils ont commencé à manifester depuis deux jours.


« Car, au-delà des chiffres bruts livrés hier par le FMI - une perte de valeur globale de 4.000 milliards de dollars pour les institutions touchées par la crise, dont les deux tiers reviennent aux banques -, c'est l'évolution même de ces ratios qui justifie cette nouvelle bouffée d'inquiétude. En janvier dernier, les dépréciations d'actifs des seules banques américaines étaient évaluées à 2.200 milliards de dollars. Trois mois plus tard, la facture s'élève à 2.700 milliards. Cela signifie que, loin de se résorber, le ralentissement économique s'est accéléré, creusant encore plus profondément les trous béants ouverts par la crise des « subprimes » dans le bilan des banques.


« Aujourd'hui, le FMI estime que les plans de recapitalisation décidés aux Etats-Unis n'ont permis de traiter que la moitié des actifs toxiques. Et en Europe, à peine un cinquième du chemin a été parcouru. La conclusion est donc claire : il faut aller plus loin. La question est de savoir comment. Comment, en effet, convaincre les opinions publiques qu'il faudra a minima doubler l'effort en faveur de banques dont le moins que l'on puisse dire est que leur popularité n'est pas au zénith ? Comment, surtout, concilier le nécessaire désendettement des établissements de crédit avec le rôle vital qui est le leur, celui de financer la relance économique ? Or, pour l'instant, le constat est sans appel. Si les banques ont bien touché les aides, elles peinent à tenir les engagements qui étaient leur corollaire : aujourd'hui, la croissance du crédit reste désespérément plate, quand elle n'est pas négative. "Le soutien politique à de nouvelles mesures [en faveur des banques NDLR] semble s'essouffler, l'opinion étant découragée par certaines utilisations des fonds publics qu'elle juge abusives", note le FMI. On ne saurait mieux résumer le problème qui se pose désormais aux pouvoirs politiques. »



Et pour couronner le tout, c'est la lettre de l'OFCE qui vient mettre un point final à cet état d'euphorie.


Catherine Chatignoux commente ce rapport dans Les Echos du 21avril : « Les économistes de l'OFCE soulignaient hier, à l'occasion de la publication de leur dernière lettre consacrée aux perspectives économiques 2009-2010, que la sortie de la crise ressemblerait plutôt, selon eux, à un scénario en forme de « L », se traduisant, à partir de 2010, par une longue période de stagnation, le temps nécessaire à la « digestion » par les banques, les ménages et les entreprises du choc économique subi. Les pertes de richesse des agents économiques liées à la seule capitalisation boursière sont "considérables", selon l'OFCE. Elles ont représenté globalement 50 % du PIB mondial - 70 % du PIB européen pour l'Europe, et 60 % du PIB américain pour les Etats-Unis. Un phénomène que Xavier Timbeau, directeur du département analyse et prévision, rapproche de l'expérience japonaise des années 1990 : "Après un choc négatif de richesse, celle-ci ne s'est pas reconstituée, ce qui s'est traduit par une décennie perdue et l'enlisement dans la déflation", une dernière hypothèse qu'il n'exclut pas non plus pour les prochaines années. "Bref, la crise est partie pour durer", insiste l'OFCE, qui prévoit que le PIB mondial devrait se contracter de 1,5 % cette année, avec un effondrement de 3,1 % pour les seuls pays industrialisés, les économies des pays émergents étant elles aussi prises dans la tourmente, quoique de façon moins brutale. »


Même François Fillon reconnaissait la gravité de la crise ce matin sur France-Inter : « C'est très difficile de faire des prévisions puisque tous les mois les instituts révisent leurs prévisions à la baisse (...) Ce qui est sûr c'est que l'année 2009 sera une année de récession forte. Mais moins 2,5% est un chiffre aujourd'hui probable. »



Hélas, la France endettée jusqu'au cou ne peut pas faire grand-chose.



Heureusement, nous n'en sommes pas au point de l'Irlande qui doit dès maintenant mettre en place un plan d'austérité. Ni au point de la Grande-Bretagne qui vient de publier un « budget assombri par la crise et les déficit » :


« Le ministre a dit tabler sur un repli de 3,5% du Produit intérieur brut (PIB) cette année (au lieu d'une baisse de 1% prédite en novembre), soit la plus grave récession depuis 1945, et sur une maigre croissance de 1,25% l'an prochain (au lieu de 1,75%).


« Et ces prévisions noircies se sont accompagnées de l'annonce d'une dégradation des finances publiques sans précédent dans l'histoire du Royaume-Uni.


« Les emprunts nets du secteur public (mesure préférée du gouvernemnt pour évaluer le déficit budgétaire) vont atteindre la somme colossale de 175 milliards de livres sur l'exercice en cours, soit 12,4% du PIB, contre 90 milliards l'année précédente, et la dette publique va s'envoler de 50,9% actuellement à 79% en 2013/2014.


« Face à cette dérive inquiétante, Alistair Darling s'est engagé à redresser les finances du pays à long terme, en relevant certains impôts et taxe, dont la tranche supérieure de l'impôt sur le revenu qui passera à 50% en 2011.


« Selon les calculs du gouvernement, les mesures annoncées ce mercredi auront un coût net total de 5,16 milliards de livres en 2009/2010. Mais leur coût fondra dès l'exercice suivant à 100 millions de livres, et elles dégageront en 2011/2012 un gain total de 5,23 milliards de livres pour le Trésor.


« Autrement dit, M. Darling a distribué des cadeaux fiscaux avant les prochaines élections générales, qui devront se tenir au plus tard en juin 2010, et repoussé après celles-ci les sacrifices inévitables pour redresser les finances publiques. »



C'est bien dans l'attitude de nos politiques de faire de telles "entourloupettes". Nos collectivités locales en France l'ont récemment montré en augmentant les impôts locaux juste après les dernières élections municipales.


C'est certainement ce que tentera de faire notre gouvernement actuel qui va chercher par tous les moyens à se retrouver en posture favorable en 2012 pour les prochaines présidentielles. Mais cela risque de ne pas être simple...

Publié dans Economie

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