Aberrations de la comptabilité analytique…

Publié le par Bernard Sady

Voici un texte que Joël-Henry Grossart avait publié sur Viadeo dans le groupe qu’il anime consacré à la Théorie des Contraintes.

Je vous le livre car il montre sous une forme humoristique l’aberration de l’allocation des frais généraux par la comptabilité analytique…

Le titre de cette publication était « Relevance lost (Pertinence perdue…) »
Et Joël-Henry en expliquait l’origine : « Cette saynète est citée dans l’ouvrage Synchronous Management, de Umble et Srikanth, publié aux éditions The Spectrum Publishing Company.
 
Il s’agit d’une « discussion au bistrot entre le patron Joe, et son comptable, un "expert" en comptabilité de gestion). »

Voici maintenant ce texte :

L’EXPERT: Joe, tu m’as dit que tu avais mis ces cacahuètes parce que des clients t’en avaient réclamé, mais est-ce que tu te rends compte combien te coûte ce présentoir ?
JOE: Me coûter ? Rien ! Au contraire, il va me rapporter ! Sûr que j’ai payé 50 euros pour ce super rack pour mettre les sachets, mais les cacahuètes me coûtent 15 centimes le sac et je les vends 25. Mettons que je vende 50 sachets par semaine au début, il me faudra 10 semaines pour couvrir le prix du rack. Et après ça, c’est du profit net, 10 centimes le sac. Plus j’en vends, plus je gagne…
L’EXPERT: C’est une façon de voir obsolète et complètement irréaliste, Joe. Heureusement, les procédures modernes de la comptabilité de gestion donnent une image plus exacte qui met en lumière tous les facteurs complexes impliqués.
JOE: Hé?
L’EXPERT: Pour être précis, ces cacahuètes doivent être intégrées dans tes opérations et se voir allouer leur juste part de frais généraux. Elles doivent prendre en charge une partie proportionnée de tes dépenses pour le loyer, le chauffage, la lumière, l’amortissement du matériel et des aménagements, ainsi que les salaires de la serveuse, du cuisinier,…
JOE: Du cuisinier? Qu’est-ce qu’il a à voir avec les cacahuètes ? Il ne sait même pas que j’en ai !
L’EXPERT: Écoute Joe, le cuisinier est dans la cuisine, la cuisine prépare la nourriture, la nourriture est ce qui amène les gens ici, et les gens veulent des cacahuètes. C’est la raison pour laquelle tu dois allouer aux ventes de cacahuètes une partie du salaire du cuisinier, comme d’ailleurs une partie de ton salaire. (il sort alors de son cartable une feuille) Cette feuille contient une analyse des coûts très précisément calculés qui montre que l’opération cacahuètes devrait exactement payer 2 548 euros par an au titre de ces frais généraux.
JOE: Les cacahuètes ? 2 548 euros par an de frais généraux ? C’est dingue !
L’EXPERT: En réalité, c’est un peu plus que çà. Tu dépenses aussi de l’argent chaque semaine pour faire laver les vitres, nettoyer la salle tous les matins, contrôler qu’il y a bien du savon dans les lavabos et pour offrir quelques rafraichissements à la police. Cela monte l’allocation totale à 2 624 euros par an.
JOE: (pensif) Et ce vendeur de cacahuètes qui me disait que j’allai me faire un paquet de fric… Mets-les juste au bout du comptoir, qu’il disait … et prends tes 10 centimes par sac de bénef...
L’EXPERT: (grommelant) Il n’est pas comptable. Sais-tu exactement combien te coûte la portion de comptoir occupée par le présentoir ?
JOE: Elle me coûte rien. Y a pas de tabouret à c’t endroit là. C’est juste un coin mort au bout du comptoir.
L’EXPERT: L’approche moderne des coûts n’autorise aucun coin mort. Ton comptoir a une surface de 12 m carrés et il te rapporte 30 000 euros par an. En conséquence, l’espace utilisé par le présentoir, que j’ai exactement mesuré à 20 cm sur 10 soit 200 cm carrés, te coûte 500 euros par an. Puisque cet espace a été retiré de l’usage général du comptoir, tu dois en allouer le coût à son occupant.
JOE: Tu veux dire que je dois encore ajouter 500 euros par an de plus aux cacahuètes ?
L’EXPERT: C’est exact. Cela monte leur part des frais généraux à un grand total de 3 124 euros par an. Donc, si tu vends 50 sachets de cacahuètes par semaine, soit 2 500 sachets par an, les coûts alloués se montent à 1,20 euro par sachet.
JOE: Quoi ?
L’EXPERT: Bien évidemment, à cela, tu dois ajouter ton prix d’achat de 15 centimes par sachet, ce qui amène le total à 1,35 euro par sachet. Ainsi, tu vois bien qu’en vendant les cacahuètes 25 centimes du sachet tu perds 1,10 euro sur chaque vente.
JOE: C’est complètement dément!
L’EXPERT: Pas du tout! Les chiffres sont là. Ils prouvent que ton opération cacahuètes ne tient pas debout.
JOE: (son visage s’éclaire) Suppose que je vende des tas de cacahuètes, des centaines de sachets par semaine au lieu de 50…
L’EXPERT: (compréhensif) Joe, tu ne comprends pas le problème. Si le volume des ventes de cacahuètes augmente, tes coûts opérationnels augmenteront aussi. Les cacahuètes supplémentaires vont prendre plus d’espace sur le comptoir, et tu devras charger plus pour la part du comptoir occupée par les cacahuètes. Tu passeras plus de temps à acheter et à vendre tes cacahuètes, aussi tu devras charger une part plus grande de ton salaire aux ventes. Tout sera plus coûteux. Le principe de base de la comptabilité est ferme sur ce point « Plus l’opération est importante, plus on doit lui allouer de frais généraux ». Non, augmenter le volume des ventes ne t’aidera pas.
JOE: D’accord, toi qui est si malin, dis-moi ce que je devrais faire.
L’EXPERT: (avec condescendance) Et bien…tout d’abord, réduire les dépenses de fonctionnement.
JOE: Comment ?
L’EXPERT: Déménage dans un immeuble avec un loyer moindre. Réduit la masse salariale. Ne lave la vitrine que deux fois par semaine et le sol que tous les mardis. Enlève le savon des lavabos. Diminue la valeur du mètre carré de comptoir. Par exemple, si tu peux réduire les dépenses de 50 %, cela réduira le montant à allouer aux cacahuètes de moitié de 3 124 euros par an à 1 562 euros par an, en ramenant ainsi le coût total par sachet à 75 centimes
JOE: Et c’est mieux?
L’EXPERT: Mieux, bien mieux. Mais, même avec çà, tu continueras à perdre 50 centimes par sachet si tu les vends seulement 25 centimes l’unité. C’est pourquoi, tu devrais aussi augmenter ton prix de vente de manière à couvrir tes coûts. Si tu veux un profit net de 10 centimes par sachet, tu devras les vendre à tes clients 85 centimes le sachet.
JOE: (abasourdi) Tu veux dire que même si je diminue de moitié mes coûts, j’aurai quand même à facturer 85 centimes pour un sachet de cacahuètes acheté 15 centimes ? Personne n’est assez fou de cacahuètes pour faire çà ! Qui en achètera ?
L’EXPERT: C’est une considération secondaire. Le point est qu’à 85 centimes d’euro tu vendras à un prix basé sur une évaluation juste et sincère de tes coûts après réduction.
JOE: (avec désespoir) Regarde! J’ai une meilleure idée. Et si je me débarrassais des cacahuètes …si je les jetais à la poubelle ?
L’EXPERT: Peux-tu te le permettre?
JOE: Oui, bien sûr. J’ai à peine une centaine de sachets …soit environ 15 euros. D’accord, je perd les 50 euros du présentoir, mais je me sors de ce business de cacahuètes de dingue.
L’EXPERT: (secouant la tête) Joe, ce n’est pas si simple. Tu es déjà dans le business des cacahuètes. A la minute même où tu te débarrasseras des cacahuètes, tu ajouteras 3 124 euros de frais généraux au reste de tes opérations. Joe, soit réaliste! Peux-tu te l’offrir?
JOE: (complètement anéanti) C’est pas croyable! La semaine dernière, je gagnais de l’argent, maintenant je suis dans les problèmes. Juste parce que je croyais que mettre des cacahuètes sur mon comptoir vide allait me faire gagner un peu d’extra. J’aurais dû me douter que c’était trop facile.
L’EXPERT: (sourcils relevés) C’est l’objet de l’analyse moderne des coûts, Joe, que de dissiper ces vaines illusions. Ah, si tu avais pu m’en parler d’abord.

Impressionnant, non ? Mais où est l’erreur ?

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F
<br /> La demonstration de l'expert est erronnée car elle part sur le postulat qu'il faut appliquer de manière linéaire les frais généraux à chaque cacahuètes.<br /> <br /> <br /> Certaines dépenses ne concernent aucunement les ventes de cacahuètes. De plus il devrait appliquer les frais générer en changeant d'unités d'oeuvres, probablement pas pour chaque cacahuètes, mais<br /> par lots achetés, et rien que ça ferait énormément baisser les coûts alloués aux cacahuètes.<br /> <br /> <br /> En plus, l' "expert" dit que s'il ne les vends pas , il aura une charge sur les bras, comme si cette charge de frais généraux était créée par la non-vente, alors que ces mêmes frais généraux<br /> existaient avant la vente des cacahuètes...<br />
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A
<br /> Bonsoir, <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> merci pour cette éclairage<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Cordialement<br />
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