Entreprise 2.0 = Entreprise du troisième type ?

Publié le par Bernard Sady

Après avoir commenté l'article de Lionel Lévy dans "Stratégies" « Web : 2 - Entreprises : 0 », je commence l'étude de la publication de blueKiwi de septembre dernier « L'Entreprise 2.0 - Comment tirer profit des Réseaux Sociaux Professionnels ? ». C'est effectivement un des documents les plus intéressants sur le sujet.

En fait, je ferai un parallèle entre la première partie du document de blueKiwi (« Météorologie d'un changement ») et "L'entreprise du troisième type", best seller des années 80 (Seuil 1984) écrit par Georges Archier et Hervé Sérieyx. Car sous une apparence moderne, c'est toujours la même analyse qui est faite de nos entreprises. La recherche de la performance passe toujours par les mêmes solutions... à vingt ans d'intervalle...

Le management ne change pas si vite que cela.

 

Commençons.

Dans un bref préambule, blueKiwi pose le problème de la performance des entreprises : « Dans une économie mondialisée et fortement dématérialisée, la performance d'une entreprise tient avant tout à sa capacité à mobiliser rapidement et efficacement ses talents que ce soit pour vendre ou innover. »

Même préoccupation dans "L'entreprise du troisième type" : « les entreprises du troisième type sont à la fois ouvertes, flexibles et mobilisatrices de tous leurs talents internes. » (page 31).

 

Immédiatement après, c'est la première partie du document : « Météorologie d'un changement ».

Les premières lignes expliquent que « l'économie et, de manière plus générale la société, connaissent depuis les vingt dernières années des bouleversements de fond. » Vingt ans ? Cela correspond à la date de publication de "L'entreprise du troisième type"...

BlueKiwi continue en essayant de mettre un peu de lyrisme : « S'ils ont pu être ignorés pendant longtemps, ces courants ont maintenant gagné une ampleur telle qu'ils se sont mués en véritables lames de fond dont les retombées nous heurtent de plein fouet. L'entreprise se retrouve ainsi au centre d'une "tempête parfaite", point de rencontre de trois grandes perturbations qui se nourrissent mutuellement : l'une est économique, la seconde technologique et la troisième sociologique. »

[Pour ceux qui ne le savent pas, l'expression « tempête parfaite » fait référence à un ouragan de 1991 qui fut le résultat combiné de plusieurs phénomènes météorologiques, qui pris individuellement auraient eu des effets moins considérables.]

 

Mais que disait-on il y a vingt ans ? « Nous participons en réalité à une mutation profonde de la société et de l'activité industrielle, à l'échelle mondiale, sous-tendue par des transformations qualitatives aussi bien technologiques (l'information, nouvelle ressource majeure de l'entreprise), que sociologiques (l'arrivée des générations instruites), que commerciales (les nouvelles performances industrielles de l'Orient), que politiques (les expériences du socialisme), pour ne citer que les principales. » (Page 10). A vingt ans d'écart, l'analyse est pratiquement la même...

 

Revenons au texte de blueKiwi..

Examinons ce qui est dit de la première perturbation : « Economie : un cycle vieux de trente ans s'achève. Et après ? »

Trente ans ? Cela correspond à la deuxième moitié des années 70. Avant il y avait eu les « Trente glorieuses » (1945 - 1975). Nous étions alors entrés dans les « Trente piteuses » (1975 - 2007 ( ?)...) selon l'expression célèbre de Nicolas Baverez. Ce cycle serait terminé ? Tant mieux. Mais pour entrer dans quel cycle ? « Les trente désastreuses » ou « Les trente catastropheuses » dont l'inauguration en fanfare par la crise financière n'augure rien de bon ... ?

En fait, blueKiwi n'aborde pas du tout ce problème des cycles économiques et cette première perturbation serait plutôt managériale qu'économique...

Dans "L'entreprise du troisième type", on parle aussi de fin de cycle : « 1940-1945-1975, cinq années de guerre et trente années de reconstruction et de croissance industrielle pendant lesquelles l'industrie, répondant en priorité à d'immenses besoins matériels, ne voyait pas ou laissait s'installer insidieusement des contradictions de plus en plus profondes dans ses structures et ses activités, et ne pouvait, par conséquent, relever les défis correspondants. »

Même constat sur les contradictions au sein des entreprises vingt ans plus tard : le premier sous-titre de "L'Entreprise 2.0" le montre : « Des organisations écartelées entre globalisation et structure pyramidale ». L'auteur continue : « Pour répondre à ses impératifs de développement économique, l'entreprise s'est étendue, divisée, segmentée. [...] Son organisation se caractérise à la fois par une forte dispersion de ses agents et une structure hiérarchique et pyramidale qui n'est pas sans inconvénient en matière d'agilité et de temps de réponse. Dans le même temps l'entreprise a du s'adapter à un autre phénomène : la globalisation, non seulement des marchés et des produits, mais aussi des ressources. »

Mais la réponse n'a pas toujours été adaptée : «  l'entreprise a souvent développé un système matriciel, à double rattachement, local et global dont la cohabitation avec la logique pyramidale ne se fait pas sans heurts lorsqu'elle n'est pas contre productive ».

Plus loin, blueKiwi aborde "l'économie de la connaissance" : « La globalisation des ressources, conséquence de la globalisation des savoirs, participe elle d'un mouvement plus général qui est celui d'une économie à caractère industrielle à une économie dite de la connaissance. »

Il faut dénoncer cette utopie qui explique que dans nos sociétés occidentales, il faut abandonner la production (économie industrielle) pour l'immatériel (économie de la connaissance), car ce serait inéluctable. Il est désolant de voir de jeunes ingénieurs se transformer en consultants parce que « la production n'a pas d'avenir en France »... La crise financière a provoqué d'importants retournements sur ce point. Une économie coupée des réalités physiques ne tient pas et part à la dérive. Je reviendrai sur cette opposition entre économie de la connaissance et économie industrielle, car c'est vraisemblablement une ces foutaises que j'ai décidé de dénoncer...

Dans « L'entreprise du troisième type », cette erreur n'existe pas. Au contraire : « L'enseignement et l'entreprise sont chez nous deux mondes qui vivent côte à côte, sans s'apprécier beaucoup et qui pourtant devraient être faits l'un pour l'autre » (page 22). Complètement d'accord !

 

Le second sous-titre « Les savoirs et expertises sont dispersés et diffus » constate une réalité qui n'est pas relevée dans "L'entreprise du troisième type".  Par contre la mise en relation et la collaboration étaient déjà défendues dans le best seller.

Voici ce qu'écrit blueKiwi : « Qu'elle soit pyramidale ou matricielle,  l'entreprise se trouve confrontée à la même difficulté : conçue pour distribuer une information selon des circuits prédéfinis, elle ne sait satisfaire ce besoin nouveau qui est désormais non plus de la diffuser de manière descendante, mais de favoriser la mise en relation des collaborateurs et leurs interactions indépendamment de toute logique géographique, fonctionnelle ou hiérarchique. »

Et voici ce qui est écrit dans "L'entreprise du troisième type" : « l'entreprise ne gagne que si elle fait en sorte que les relations entre les individus et entre groupes, en son sein, permettent à chacun d'être aussi contributif que son potentiel et ses capacités le lui autorisent » (pages 30 - 31).

 

Le dernier sous-titre explique qu' « accélération et discontinuité viennent compléter le casse-tête. »

En effet « vient s'ajouter à cela un facteur aggravant : le temps. La complexité des organisations est telle que les circuits traditionnels ne parviennent plus à faire transiter l'information suffisamment vite pour répondre aux attentes des clients internes ou externes dans un délai acceptable et maintenir la productivité à un niveau raisonnable ». Et en conclusion : « La globalisation exige la transversalité, l'utilisation optimale du capital-savoir, un fonctionnement en réseau. La discontinuité requière une organisation plus à même de satisfaire rapidement les demandes du terrain. Autant d'impératifs qui obligent l'entreprise à réfléchir à de nouveaux modes de travail et d'échanges plus flexibles sous peine de voir la pyramide s'écrouler sous la pression de ces forces nouvelles. »

"L'entreprise du troisième type" ne dit pas autre chose : « Pour répondre à un environnement changeant, aux besoins renouvelés des clients, aux concurrents performants et agressifs, tout le monde s'accorde à dire que nos entreprises doivent être souples, agiles et réactives. Cette flexibilité concerne aussi bien leurs structures qui doivent être évolutives, que les hommes qui doivent être mobiles au plan professionnel et géographique » (page 19).

 

Après l'étude de cette première perturbation plus managériale et organisationnelle qu'économique, j'ai montré un parallèle saisissant dans les analyses de la situation faites à 20 ans de distance. Lorsqu'on dit que les changements dans le monde s'accélèrent, il semble qu'en ce qui concerne le management de nos entreprises, l'accélération soit très très lente...

Nous verrons que le parallèle sera aussi frappant concernant les deux autres perturbations...

Alors, le concept d' "Entreprise 2.0", sera-t-il La Solution ? Pas sûr...

Publié dans Entreprise 2.0

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F
Merci pour ce beau billet...! ;-)<br /> <br /> Après cette lecture, la curiosité éveillée...je me suis empressé de commander "L'entreprise du troisième type" !<br /> <br /> Si les ressemblances sont frappantes c'est que le système est le même... Si nous passions un peu moins de temps à l'analyse pour appréhender un peu mieux les phénomènes systémiques on se rendrait compte que peu de choses changent au final... ;-) c'est un autre best seller (le macroscope) qui m'a fait prendre conscience de cela.<br /> <br /> Au plaisir de vous lire.
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B
<br /> <br /> Florent,<br /> <br /> <br /> Ce que je voulais montrer, c'est que la notion d'Entreprise 2.0 est en fait une vieille idée qui date au moins des années 80, alors que les tenants de cette idée font croire que c'est le "nec<br /> plus ultra" du management actuellement...<br /> "L'entreprise du troisième type" est un livre un peu ancien, mais il a l'intérêt de dire des vérités qui sont toujours actuelles et de montrer que le "système entreprise" n'a pas beaucoup évolué<br /> depuis 20 ans.<br /> Et les solutions proposées dans "l'entreprise du troisième type" sont à peu près les mêmes que ce qui est préconisé pour l'Entreprise 2.0. C'est ce que je montrerai dans un prochain billet.<br /> Cela fait donc sourire lorsqu'on voit les tenants de l'Entreprise 2.0 redécouvrir l'eau tiède...<br /> <br /> <br /> Cordialement<br /> <br /> <br /> <br />