France Télécom : la responsabilité des pouvoirs publics…
Après une semaine au cours de laquelle il a fallu déplorer une tentative de suicide et un suicide de salariés de France Télécom (25ème depuis un an et demi), il faut d’abord dire au PDG actuel d’arrêter de communiquer. Ses interventions publiques sont toutes plus catastrophiques les unes que les autres.
Après la « mode » des suicides, mot qu’il regrette maintenant, son interview au Figaro de ce samedi ne restera pas comme un exemple de communication en période de crise….
Lors des 13 questions qui lui ont été posées, il a réussi à prononcer 5 fois le mot « humain », mais cela sonne faux, comme des phrases apprises par coeur :
« Je me focalise exclusivement sur l'humain. Si les salariés sont heureux, toute l'entreprise sera gagnante au final. Le nouveau France Télécom doit être humainement performant pour continuer à être économiquement performant. »
Oui, mais finalement, Lombard réaffirme que l’objectif, c’est de « continuer à être économiquement performant ». Si l’humain peut y aider, tant mieux !
« Nous remettons de la convivialité dans les rapports humains. »
Mais il ne dit pas comment cela se traduit au quotidien… Cela reste du domaine du vœu pieu…
Les salariés « sont effectivement très attachés à l'entreprise. […] Mais cet attachement viscéral fait aussi que certains attendent tout de l'entreprise, qui devient comme une grande famille où tout prend un tour affectif. Si on leur demande de changer de poste, ils pensent que c'est parce qu'on ne les aime plus. Or ils ont tort de penser qu'on ne les aime plus : tout ce que l'on fait vise justement à permettre de les garder tous. »
Didier Lombard joue sur l’affectif, mais ses paroles n’ont aucune crédibilité. Il a cherché à en virer un maximum en les écoeurant, comme dans la pire “company” anglo-saxonne. Alors, lorsqu’il dit que les salariés de FT « ont tort de penser qu’on ne les aime plus », c’est vrai, car en fait, il ne les a jamais aimés…
« Chaque drame me heurte comme tous les membres de la famille. Peut-être encore plus. »
Ce n’est qu’après le 23ème suicide qu’il a montré que cela le heurtait, mais après avoir été lui-même “heurté” par Xavier Bertrand, comme l’explique un article des Echos du 15 octobre dernier :
« Avant l'été, l'entreprise France Télécom décide de gérer le « problème » en interne, et de le confier, pour l'essentiel, à la DRH et aux services de communication. « Patron monde d'Orange, axé sur la stratégie du groupe, Didier Lombard et le haut management ne se sont pas sentis concernés, décrypte « off » l'un des consultants ayant travaillé sur le dossier. Même si Olivier Barberot, le DRH de France Télécom, insiste sur le fait qu'à l'époque il a chaque jour Didier Lombard au téléphone pour faire le point. Le consultant poursuit pourtant : « Le haut management qui a porté l'entreprise France Télécom au plus haut, élaboré une véritable stratégie, est convaincu qu'il va réussir. Pour eux, il est évident que la dimension humaine va suivre.… Personne ne le dit à voix haute mais le message subliminal qui passe alors se résume en substance à : “ Que la com gère le problème ! ” » […] « Et le 15 septembre, le PDG d'Orange est convoqué chez Xavier Darcos, ministre du Travail. Selon ses proches, cette convocation lui fait l'effet d'une déflagration : « Pour la première fois, il a compris qu'il jouait son job », dit l'un d'entre eux. »
J’arrête ici les citations de Lombard. En fait, il n’a pas beaucoup de choix. Ce n’est pas un communiquant. Il ferait donc mieux de se taire. D’un autre côté, dans une telle crise, le PDG doit communiquer… Il ne lui reste donc qu’une solution : démissionner.
Mais il affirme dans cet interview qu’il ne le fera pas : « ce n'est pas quand le bateau est dans la tempête que le capitaine quitte le navire. Je dois l'amener à bon port, à un état d'entreprise humaine et prospère. »
Pourtant, lors de la question précédente, il affirmait : « Quand on décide de changer le contenu du message en donnant la priorité à l'humain, il faut aussi changer le porteur du message. Ce dernier doit incarner symboliquement ce changement. C'est pourquoi Louis-Pierre Wenes a quitté ses fonctions. »
C’est lui, Didier Lombard, le nouveau « porteur du message sur l’humain » qui « incarne symboliquement ce changement » ? Si ce n’était aussi tragique, la seule réponse à lui faire serait un immense éclat de rire.
Après avoir une fois de plus accroché ce PDG qui me semble vraiment d’une nullité en communication à toute épreuve, il faut bien en venir au troisième compère responsable dans cette affaire : les pouvoirs publics.
Je ferai encore un petit tour par l’interview de Lombart au Figaro. Car la question des responsabilités dans cette crise lui est posée. En plus des médias, il y a exactement les trois co-responsables dont je parle depuis le début : la direction, les syndicats et l’Etat.
D’abord, la question sur la responsabilité des médias. Réponse de Lombart : « Il est clair que les médias ont joué leur rôle dans cette crise, ce qui n'enlève rien à la profondeur du changement que nous avons engagé. » Les médias ne sont en rien responsables du mal-être chez FT. Elles se sont contentées de révéler le problème au public.
Ensuite sur la responsabilité de la direction, Lombart ne se démonte pas et répond… à côté. Je cite la question et la réponse :
« Quelle responsabilité pèse sur les dirigeants, vous-même, Louis-Pierre Wenes et Stéphane Richard ?
« Quand on décide de changer le contenu du message en donnant la priorité à l'humain, il faut aussi changer le porteur du message. Ce dernier doit incarner symboliquement ce changement. C'est pourquoi Louis-Pierre Wenes a quitté ses fonctions. Aujourd'hui pour porter le changement le plus rapidement possible auprès de tous les salariés, les membres du comité de direction du groupe se mobilisent. Nous ferons une cinquantaine de déplacements dans les centres France Télécom d'ici à la fin de l'année. »
Texto ! Je n’ai rien enlevé, ni ajouté à sa réponse… En fait, comme depuis le départ, il ne se sent en rien responsable. Wenes l’était, mais comme porteur du mauvais message…
Concernant la responsabilité des syndicats, sa réponse est de les dédouaner complètement : « Les syndicats aussi ont un vrai attachement à l'entreprise. Il faut qu'ils soient responsables dans les négociations. Ils remplissent leur mission. À nous d'exercer la nôtre. »
Après de telles paroles, je ne vois pas pourquoi les syndicats se remettraient en cause. Mais il faut bien avouer que Lombart ne pouvait pas dire que les syndicats auraient du être plus virulents et auraient du le contrer sur les conditions de travail et le mal-être…
Concernant la responsabilité de l’Etat, il répond en parfait valet qui ne veut pas s’attirer les mauvaises grâces de son maître : « Le gouvernement doit jouer deux rôles distincts. Le premier est de faciliter l'interface avec le monde du travail, des médecins du travail. Xavier Darcos, ministre du Travail, nous apporte son soutien sur ce plan-là. Et puis, il y a l'État actionnaire, représenté par Christine Lagarde, ministre de l'Économie. Notre entretien, il y a quelques jours, a été très constructif. »
C’est lors d’un de ces entretiens avec Christine Lagarde que la tête de Wenes a été exigée…
J’en arrive donc au thème principal de ce billet : la responsabilité des pouvoirs publics.
Elle l’est depuis la privatisation de cette entreprise venue de la sphère publique.
La première inconséquence a été d’avoir jeté cette grosse entreprise dans la piscine d’eau froide du monde concurrentiel des télécoms en la lestant de semelles de plomb. En effet, la plus grande part de ses salariés avait un statut de fonctionnaire et FT ne pouvait pas s’en séparer, contrairement à ce qu’ont fait la plupart des autres ex-organismes publics de télécommunication. Je ne critique pas le statut des salariés, je note simplement l’inconséquence des pouvoirs publics à avoir mis cette entreprise dans le monde concurrentiel sans lui en donner les moyens. Je n’applaudis pas non plus les licenciements faits par les autres opérateurs, je constate.
C’est certainement cette première inconséquence qui est à l’origine du cercle infernal dans lequel FT s’est retrouvée.
La deuxième inconséquence a été de stopper d’un seul coup le plan de mise en pré retraite à 55 ans avec 80% du salaire qui courrait de 1996 à 2006. Cela avait permis un certain calme social et était une soupape de sécurité pour des salariés âgés et sous pression : il y avait une issue…
La troisième inconséquence a été de ne jamais rien dire au sujet des pratiques de FT, et au contraire d’approuver de mois en mois la gestion de Lombard.
Ils ont donc eu beau jeu de se réveiller fin août, tous nos politiques pour s’indigner de la découverte de pratiques inhumaines dans une entreprise où l’Etat possède encore une grande partie du capital…