Le plan de reprise des "actifs pourris" de T. Geithner

Publié le par Bernard Sady

Voilà une semaine que Tim Geithner a dévoilé son plan de reprise des actifs toxiques des banques américaines.


Cette annonce a été parfaitement orchestrée par la Maison Blanche pour éviter le renouvellement de l'échec de la première annonce de ce même plan il y a un peu plus d'un mois. D'autant que la position actuelle de Tim Geithner est fragilisée à la suite du scandale AIG dans lequel il n'est pas blanc des quatre pattes...



Le site des Echos explique la manœuvre en trois étapes : « La publication du plan par M. Geithner lundi a été précédée d'une série de "fuites" dans de grands journaux au cours du week-end. M. Geithner a détaillé en personne ce plan compliqué dans une tribune publiée par le Wall Street Journal de lundi, puis devant la presse, mais seulement écrite, à l'abri des caméras.

« M. Geithner ne s'est pas préoccupé de "l'emballage" du plan mais "de ce qu'il y a dans la boîte", a dit le porte-parole de la Maison Blanche, Robert Gibbs.

« "J'imagine qu'on aurait pu sortir les étendards, faire imprimer des affiches et faire donner la bonne vieille fanfare", a-t-il dit.

« "Mais je pense que ce qui importe - peut-être pas pour les journalistes de Washington, mais pour les Américains - c'est de connaître les détails d'un plan qui marche et grâce auquel leurs banques recommencent à prêter de l'argent", a-t-il dit. »

 

Et cela a marché : « Les places boursières mondiales saluent le plan Geithner » comme le titrait un article d'Isabelle Couet dans Les Echos du 24 mars.

 

Au moins en apparence... Les bourses ont effectivement fait un bond. Mais pour retomber aussitôt... Et finir la semaine en baisse. Et recommencer en baisse cette semaine... Si elles ont progressé la semaine dernière, c'est plus en raison de quelques bons indicateurs économiques que grâce à ce plan...


En ce début de semaine, il semble déjà lointain... à l'approche du G20 sur lequel tous le projecteurs sont tournés...

 


Ce plan est en fait le même que celui présenté six semaines plus tôt, mais avec plus de détails et mieux "emballé".


Il consiste à faire « appel au secteur privé pour financer la reprise des actifs toxiques. [...] Avec un investissement direct du Trésor limité entre 75 et 100 milliards de dollars, ce nouveau plan mise sur le concours de la Fed et du secteur privé pour "absorber" entre 500 et 1.000 milliards d'"actifs toxiques". » (Les Echos)


Plus précisément, « toute la philosophie du plan Geithner consiste à délester les banques de leurs actifs toxiques (prudemment rebaptisés « legacy assets », actifs historiques) grâce à un partenariat public-privé, en vue de dégeler le marché du crédit. « Nous ne voulons pas que le gouvernement assume tous les risques. Nous voulons que le secteur privé travaille avec nous », a-t-il insisté. Il mise sur la participation des firmes de capital-investissement (Blackrock, Carlyle, KKR...) et des fonds spéculatifs, mais aussi des fonds de pension et des assureurs privés.

« Selon le plan en deux parties présenté hier par le Trésor qui vise à la fois à débloquer le marché des « legacy loans » (créances douteuses) et des « legacy securities » (actifs toxiques), la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC) se verra confier la mise aux enchères de « pools d'actifs », le mieux-disant ayant accès au programme public-privé garantissant 50 % du capital requis. Si le vendeur accepte le prix d'achat, l'acquéreur recevra le financement en émettant de la dette garantie par la FDIC. « Avec un effet de levier de 1 à 6. Une fois les actifs vendus, les gérants de fonds privés obtiendront le contrôle de la gestion des actifs jusqu'à leur liquidation.


« En outre, le plan prévoit l'extension du programme TALF (« Term Asset-Backed Securities Facility ») déjà lancé par la Fed et le Trésor à toute une série d'actifs toxiques adossés à des prêts immobiliers (RMBS, CMBS, ABS...)

 


Ce plan à peine communiqué était approuvé par la bourse et certains fonds. Mais les critiques ne se sont pas faites attendre...

 


Car en fait, comme le dit un autre article des Echos, ce plan « fait la part belle aux investisseurs privés, qui sont invités à prendre un minimum de risques pour une espérance de gain maximale. En clair, le plan socialise l'essentiel des pertes potentielles et privatise la moitié des profits éventuels. » Ce qui revient à "pile, je perds et face, tu gagnes"...


 

La première critique est venue de Paul Krugman sur son blog dès le 21 mars (traduit et publié par Contreinfo) et suivi d'un article publié dans le New York Times le 23 mars. Paul Jorion propose une traduction de cet article sur son blog :


« Durant le week-end, le Times et d'autres journaux ont fait état de fuites sur les détails du plan de soutien au banques de l'administration Obama qui sera officiellement présenté cette semaine. Si les éléments rapportés sont corrects, le secrétaire au trésor Tim Geithner a réussi à persuader le président Obama de recycler la politique de l'administration Bush, plus particulièrement le plan "cash for trash" (NDLR : littéralement "argent contre ordure") proposé il y a 6 mois par le secrétaire au trésor de l'époque Henry Paulson, avant d'être abandonné.


« Tout ceci est plus que décevant. En fait, cela me remplit d'un sentiment de désespoir. »

Il précise « Mr Obama a apparemment donné son accord à un plan financier qui par essence repose sur l'acception que les banques sont fondamentalement saines et que les banquiers savent ce qu'ils font.


« C'est comme si le président était déterminé à confirmer la perception grandissante que lui et son équipe sont largués, que leur vision économique est floue du fait des liens trop étroits avec Wall Street. Et d'ici à ce que Mr Obama prenne conscience de la nécessité de changer de cap, son capital politique aura peut-être disparu.
[...]


Il explique : « le plan consiste à utiliser l'argent du contribuable pour amener les prix de ces mauvais actifs à un niveau jugé "juste". Mr Paulson a proposé que le gouvernement achète ces actifs directement. Mr Geithner propose lui un schéma complexe dans lequel le gouvernement prête l'argent aux investisseurs privés pour que ces derniers l'utilisent pour acheter les actifs. 
Selon le plus proche conseiller économique de Mr Obama, l'idée est d'utiliser "l'expertise du marché" pour déterminer la valeur des actifs toxiques.


« Mais le schéma Geithner offrirait un pari à sens unique : si la valeur des actifs grimpe, les investisseurs dégagent des profits, mais si la valeur des actifs baisse, les investisseurs n'ont pas à se soucier de leur dette. En réalité, il ne s'agît donc pas de laisser faire le marché. C'est simplement une manière déguisée et indirecte de subventionner l'achat des mauvais actifs. [...]


« Le vrai problème, c'est que ce plan ne marchera pas. Certes, certains actifs en difficulté sont peut-être dévalués. Mais le fait est que l'exécutif financier a "joué" ses banques sur la croyance qu'il n'y avait pas de bulle immobilière, et la croyance connexe que les sommets jamais vus au niveau de la dette des ménages n'étaient pas un problème. Ce pari a été perdu. Et quelle que soit la dose de magie financière que le plan Geithner préconisera, rien ne changera cela. »



Un article des Echos du 25 mars complète et résume les risques et les limites de ce plan. C'est d'abord Bill Gross, le président de Pimco, un des premiers "privés" à se présenter pour la reprise des actifs toxiques, qui « n'a pas caché, toutefois, que le programme, qui vise à lever entre 500 milliards et 1.000 milliards avec l'appui de la Fed, ne suffira pas à nettoyer les bilans bancaires, qui "nécessiteraient probablement plusieurs milliers de milliards". »


Mais, finalement, « "la question cruciale reste de savoir si les banques vont se résoudre à vendre ces actifs au-dessous du prix du marché", a confié Richard King du fonds Invesco à Bloomberg. Les économistes sont plus partagés sur les vertus du plan Geithner pour les actifs toxiques. Tandis que le prix Nobel d'économie Paul Krugman reste persuadé qu'il sera inefficace car il ne s'attaque pas à la question des grandes institutions "insolvables" et Joseph Stiglitz s'inquiète de son impact sur la dette publique. »

 

 

La remise des candidatures de la part des investisseurs privés est prévue pour le 10 avril et les candidats retenus seront prévenus avant le 1er mai. Attendons donc quelques jours pour voir ce qui va se passer.

Mais avant, il y aura eu le G20...

Publié dans Economie

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