Comment les français se sentent dans leur entreprise…

Publié le par Bernard Sady

Les études et sondages sur la manière dont les français vivent leur relation avec leur entreprise se suivent et se ressemblent. Mais on peut aborder la question, soit comme le verre à moitié vide, soit comme le verre à moitié plein.

Car, à y regarder de près, il y a environ la moitié des salariés qui sont globalement satisfaits de leur entreprise et la moitié des salariés qui sont mécontents de la relation avec leur entreprise.



Prenons le dernier sondage TNS Sofres pour Altedia qui vient d’être publié.

Ce sondage comporte plusieurs parties. Voici les enseignements qui me semblent les plus importants.

 

D’abord, « la rupture du lien entreprise – salarié semble consommée » : 87% des sondés pensent que « dans les années qui viennent, de plus en plus d'entreprises vont avoir tendance à délocaliser » ou encore 81% des sondés ne pensent pas que « aujourd'hui en France, les intérêts des entreprises et des salariés vont dans le même sens. » Il y a manifestement une crise de confiance. Par contre, si on leur demande ce qu’il en est dans leur entreprise, ils sont moins sévères : ils ne sont plus que 61% à ne pas penser que dans leur « entreprise / administration, les intérêts des dirigeants et des salariés vont dans le même sens ».

Cette rupture ne date pas d’aujourd’hui. En août 2008, j’ai publié un billet « Cadres et entreprises : le divorce ». J’expliquais que « pour beaucoup de cadres, le divorce est déjà consommé. La relation de confiance qui existait il y a vingt ans a disparu. Les années 90 ont vues les entreprises licencier les cadres qui s'étaient dévoués corps et âme à elles. Première cause de divorce. Surtout pour les plus anciens. Mais cela a laissé des traces chez tous les cadres : l'intérêt de l'entreprise passe après l'intérêt individuel. D'où la révolte des cadres quand on veut leur retirer leurs RTT : ils préfèrent rester en famille plutôt que de passer 10 jours de plus dans l'entreprise.
« Mais il y a la conscience professionnelle qui fait que les cadres s'investissent malgré tout dès que le besoin se fait sentir. Et là, deuxième cause de divorce : l'entreprise en profite et demande toujours plus, jusqu'au "burn out"... » A l’époque, le marché du travail était très différent de ce qu’il est aujourd’hui et je concluais : « Mais actuellement le marché de l'emploi des cadres est favorable. Les entreprises devront en tenir compte et seules celles qui mettront en place un véritable management humain garderont les meilleurs. Les autres se contenteront de les voir passer... »

Si la rupture des cadres avec l’entreprise s’est faite dans les années 90, la rupture avec les ouvriers et les employés est plus ancienne. Elle remonte aux années 70 avec les vastes plans de licenciement sonnant la fin des “Trente glorieuses”.

 

Revenons à notre sondage.

Précision importante : « le malaise semble particulièrement aigu dans les grandes organisations : 61% des salariés de TPE (10 salariés ou moins) estiment que les intérêts des dirigeants et des salariés de leur entreprise / administration vont dans le même sens. La proportion décroît régulièrement pour ne plus atteindre que 27% dans les grandes (soit à peine plus d’un quart). »

Ensuite, les salariés sont défiants « vis-à-vis de la direction…mais aussi des syndicats » : ils sont 53% à ne pas avoir « confiance dans leurs syndicats » et 58% à ne pas avoir « confiance dans les dirigeants de leur administration / entreprise ».

Autre enseignement, mais qui n’a rien d’étonnant : le capitalisme et la mondialisation sont « des notions négatives pour près de 3 salariés sur 4 ».

Un point inquiétant : « un quart des sondés sont prêts à participer à des actions “dures” ». C’est ce que L’Usine Nouvelle du 19 novembre appelle à la suite du CCA les « révoltés du Bounty ». Ils seraient 40% (un peu plus que 25%...), ne supporteraient plus le système, rejetteraient les méthodes de management et seraient prêts à se révolter…

Les sentiments des sondés à l’égard de leur employeur « permet de bien mettre en lumière les fortes différences de climat entre les différentes populations » :

« Les quinquagénaires sont particulièrement touchés par la déception (44%) et la lassitude (39%), ce qui se traduit par un niveau particulièrement élevé de sentiments négatifs majoritaires (45%, 9 points de plus qu’en moyenne). »

« Les salariés des grandes organisations comparés à ceux des TPE  :
« 44% de déception contre 20% en TPE
« 27% d’attachement contre 41% en TPE
« 21% de confiance contre 36% en TPE ».

Par contre « les cadres sont en revanche nettement plus positifs :
« 26% d’enthousiasme contre 12% pour les ouvriers
« 43% d’attachement contre 21% pour les ouvriers
« et 33% de fierté contre 13% pour les ouvriers ».

« Deux secteurs semblent douter particulièrement :
L’industrie, particulièrement touchée par la déception (50%) et la méfiance (41%).
Et la Fonction Publique d’Etat, où la confiance est au plus bas (12%) ». Lorsqu’on voit nos gouvernants donner des leçons de management…

Point important qui confirme le développement de l’individualisme : 64% des sondés pensent qu’ « au sein de leur entreprise / administration », « développer les occasions d'échange informel entre les salariés et leur supérieur hiérarchique » semble « le plus efficace pour que les salariés soient mieux entendus (ou “pris en compte”) ».

Alors qu’ils ne sont que 27% à penser qu’ « au sein de leur entreprise / administration », « donner plus de pouvoir aux syndicats » semble « le plus efficace pour que les salariés soient mieux entendus (ou “pris en compte”) »

Concernant leurs relations avec leurs dirigeants, les salariés sont très partagés. Mais ils sont « bien plus positifs sur leur relations avec leur manager direct ».

Dans la partie consacrée au travail et à l’implication, les constats sont intéressants : « Un salarié sur 2 dit toujours s’épanouir dans son travail » et 61% pensent que leur « niveau de stress est acceptable ».

Précisions :
« Les cadres sont classiquement plus satisfaits : de leur niveau de stress (70%), de leur possibilité de s’épanouir (65% contre 39% pour les ouvriers), de la reconnaissance de leurs efforts (61%), de leur rémunération (45%).

« Le clivage générationnel apparaît ici aussi entre des jeunes nettement plus satisfaits et leurs aînés. En particulier, 63% des moins de 30 ans disent s’épanouir, contre 40% des quinquas et 46% sont satisfaits de leur perspective d’évolution (contre 17% des quinquas).

« La Fonction Publique d’Etat fait à nouveau preuve d’un niveau d’insatisfaction élevé, notamment sur la reconnaissance de ses efforts (34% de satisfaits contre 48% dans le privé et 60% en entreprises publiques) et même un niveau étonnamment faible sur… la sécurité de l’emploi (63% contre 74% pour l’ensemble des 3 Fonctions Publiques !).

« La reconnaissance des efforts fait à nouveau ressurgir l’ampleur du fossé entre TPE et grandes organisations : 2/3 des salariés de TPE sont satisfaits (63%) contre à peine plus d’un tiers de ceux des entreprises / administrations de plus de 500 salariés (37%). »

 

Conclusion de ce sondage : « globalement, les salariés ont plutôt le sentiment que leur situation au travail s’est dégradée ».

 

Et voici le résumé de cette étude tel qu’il est publié à la fin du rapport :

 

« L’étude révèle en tout premier lieu une remise en cause massive du système actuel par les salariés français :

« Les ¾ estiment que la crise a prouvé qu’il apportait plus de problème que de solution.

« La même proportion estime que les intérêts des entreprises (ou de leurs dirigeants) et des salariés ne vont pas dans le même sens.

« La quasi-totalité se dit choquée par au moins une des caractéristiques du système.

« Les termes de profit, de mondialisation, de capitalisme sont massivement associés à des évocations négatives.

« L’effet “le système va mal mais dans mon entreprise / administration ça se passe beaucoup mieux” semble moins fort que par le passé.

« Dans ce contexte de rupture du lien entre employeurs et salariés, il n’est pas surprenant d’observer :

« Une ouverture importante aux modes de revendication forts voire durs qui va jusqu’à la compréhension à l’égard de l’emploi de la force par les salariés, partagée par 2/3 des salariés (et même 43% des cadres !).

« Une crise de confiance à l’égard tant de son employeur que de ses dirigeants.

 

« Ces résultats sont nettement plus critiques que ce que nous avions pu mesurer cet été dans une grande enquête « avant / après » la crise (étude qui mettait néanmoins en évidence un mal-être diffus et une certaine perte de sens). La médiatisation actuelle de la souffrance au travail, suite aux suicides chez Orange, aurait-elle conduit à « cristalliser » ce mal-être, libérant ainsi la critique ?

« Au sein du monde du travail, ce mal-être se traduit surtout par des sentiments de :

« Manque de reconnaissance et de perspectives d’avenir.

« Faible responsabilité perçue de son employeur à l’égard de ses salariés.

« Dégradation de sa situation professionnelle.

« Optimisme très partagé sur son avenir.

« En revanche, il est à noter qu’un salarié sur 2 dit s’épanouir dans son travail et près des 2/3 que leur niveau de stress est acceptable.

« La focalisation sur le stress correspond-elle vraiment à une priorité pour les salariés ?

 

« Au-delà de ces enseignements d’ensemble, plusieurs constats ressortent sur les différentes composantes du corps social :

« Les salariés de petites et de grandes organisations (administrations ou entreprises) semblent vivre sur des planètes différentes. Simple effet de la proximité du dirigeant ou moindre exposition aux modes de fonctionnement de l’économie actuelle ?

« A l’inverse, la Fonction Publique d’Etat et l’Industrie, pour des raisons très différentes, cristallisent le mal-être.

« Les cadres, s’ils restent plus positifs sur leur situation et sur leur organisation, critiquent presque autant le système que les autres catégories et près de la moitié d’entre eux se déclare ouvert ou compréhensif à l’égard des modes de revendication les plus durs.

« Enfin, les jeunes paraissent beaucoup plus à l’aise dans le monde du travail que leur ainés, les quinquas apparaissant particulièrement fragilisés (mais ils cumulent les plus faibles perspectives d’avenir et de sentiment de reconnaissance). »

 

Leïla de Commarmond qui a fait un commentaire pertinent de ce sondage dans Les Echos du 30 novembre 2009 conclut : « Tout cela constitue autant d'ingrédients d'une crise managériale, dont il est sans doute un peu tôt pour savoir si elle est simplement conjoncturelle, mais qui semble en tout cas assez profonde. »


La crise managériale que traverserait
la France a fait l’objet de plusieurs articles ces dernières semaines. J’y reviendrai, car cette crise ne date pas de la crise…



Ma conclusion sur ce sondage :

Après les suicides chez Renault, Peugeot, France Télécom, on avait l’impression que c’était dans toutes les entreprises qu’il y avait un malaise. Tous les patrons appliqueraient les mêmes méthodes inhumaines… et tous les salariés seraient stressés… Mais au final, il semble que le mal être au travail ne concerne que la moitié des salariés. Ce qui est à la fois rassurant (il y a quand même des entreprises – et surtout des TPE – où il fait bon vivre), et décevant (même si il n’y aura jamais 100% de satisfaits, la proportion devrait être de 75 ou 80%, voire 90%).

Un autre point inquiétant, c’est la progression de l’individualisme. Surtout dans les grandes entreprises (dans les TPE, il est normal que les relations entre patron et employés soit directe). C’est au moment où on ne parle que de travail collaboratif que chacun se replie sur lui-même…

Publié dans Relations sociales

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