Bureaux : espace de travail toujours plus petit... (2)

Publié le par Bernard Sady

A partir d'un article d' "Enjeux - Les Echos" de septembre 2008 « Bureaux : Toujours plus petits, ouverts et flexibles », j'ai écrit un premier billet pour expliquer la tendance actuelle à la diminution des coûts des postes de travail administratifs.

 

Après avoir évoqué le déménagement « vers des zones meilleur marché » et le télétravail, solutions qui semblent intéressantes, j'ai commencé à aborder la réduction de l'espace par salarié. Les open space ont bien évolué depuis les années 80 - 90. Hélas, nos "aménageurs d'espace", après avoir reconnu l'importance de la personnalisation des postes, en viennent à vouloir compenser la réduction de l'espace par des compensations : restaurant, salle de sport, conciergerie, en espérant que la motivation et l'implication seront toujours identiques, sans comprendre que l'important est le lieu « où l'on est pendant le plus clair du temps »...

 

Et voici la dernière invention de nos experts : le partage des bureaux...

 

« Pourquoi conserver des bureaux dédiés à des consultants qui passent le plus clair de leur temps chez le client ? ». C'est Accenture (ex-Andersen Consulting) qui a introduit en France le "desk sharing" il y a une dizaine d'années. « A la faveur de leur déménagement avenue George-V à Paris, les consultants avaient troqué leurs bureaux attitrés contre des postes de travail interchangeables, en nombre plus restreint, réservés à la demande, comme des chambres d'hôtel. »

Pourquoi pas pour les consultants et les commerciaux qui passent le plus clair de leur temps à l'extérieur. Ces profils ont une relation particulière avec l'entreprise et n'ont pas un besoin vital d'un poste de travail permanent au sein de celle-ci.

 

Mais « le profil des salariés concernés semble voué à s'élargir.[...] Le principe du partage des bureaux peut aussi s'appliquer aux salariés sédentaires, avance Jacques Simonian. Si l'on prend en compte les vacances, les RTT ou les congés maladie, le taux de présence réelle dans les services administratifs tourne autour de 65 ou 75%. Il est donc possible, après une étude poussée des pics de présence, d'optimiser la surface de près de 20%. »  Ce qui veut dire qu'un poste sur cinq serait supprimé...

J'ai envie de crier : « Au fou !» Car ce sont avec des calculs de ce genre qu'on transforme le quotidien de milliers de salariés en un véritable enfer!

Lorsque j'ai étudié les 5S, j'ai découvert l'importance du territoire pour les salariés. C'est finalement un besoin profond de l'homme : une équipe, des repères et un territoire.

Que ce soit en atelier ou dans un bureau, les salariés s'approprient leur espace de travail et souhaitent retrouver cet espace et ces repères quand ils reviendront. En réunion, les personnes se mettent souvent à la même place.

D'où l'importance de la personnalisation de l'espace de travail, vue dans le billet précédent.

S'ils ne trouvent pas ces éléments dans l'entreprise, ils le chercheront ailleurs et se considéreront comme des mercenaires et ne s'impliqueront pas dans l'entreprise...

 

Voyons ce que cela donne sur le terrain.

Un exemple de mise en application est donné par notre auteur : « C'est cette démarche qu'a adoptée Hewlett-Packard France. "Nous avons mis en place une politique de partage des bureaux qui concerne les trois quarts des salariés français", expose Pierre-Yves Tilly, le directeur des ressources humaines. Les commerciaux, par nature souvent sur la route, se partagent un poste de travail pour quatre. Le service achat et les services généraux, répartis entre des fonctions sédentaires et les déplacements professionnels, disposent en moyenne d'un poste pour deux salariés. Par contre, les collaborateurs du service paie ont conservé des bureaux attitrés, tout comme les assistantes qui jouent le rôle de point de repère pour les salariés travaillant en bureau partagé. Lorsqu'ils passent dans les locaux de l'entreprise, ces derniers se voient attribuer des postes de travail sur la base du "premier arrivé, premier servi". Les salles de réunion se réservent à l'avance, alors que les bureaux individuels pour les collaborateurs ayant ponctuellement besoin de s'isoler sont en libre-service. Une fois installé, le branchement de l'ordinateur portable permet de se connecter au réseau et à l'imprimante la plus proche. "On peut passer d'un étage ou d'un site de l'entreprise à l'autre sans souci", assure Pierre-Yves Tilly »... certainement confortablement installé dans le fauteuil de son bureau...

Il est vrai que les moyens informatiques modernes permettent de se connecter très facilement au réseau de l'entreprise et de retrouver ses dossiers sur le serveur. Mais limiter la relation avec l'entreprise uniquement par la connexion impersonnelle sur le réseau limitera également l'implication des salariés. On a les salariés qu'on mérite...

Chez HP France, la réaction des syndicats est différente de l'optimisme de la DRH : « Pour François Godard, syndicaliste CFDT chez HP, cette organisation se révèle à l'usage extrêmement anxiogène : "Quand ils arrivent le matin, les salariés ne savent pas s'ils auront une place, ni à côté de qui ils vont travailler. Cela ne les encourage pas à faire des efforts pour limiter le bruit par exemple. Certains récupèrent des sièges dans une salle de réunion pour occuper le coin de bureau d'un collègue qu'ils connaissent au grand dam de ceux qui avaient réservé la salle. Quant à l'accès aux bureaux individuels, c'est la foire d'empoigne." » Bien sûr la direction conteste : « les problèmes se limitent à quelques abus ponctuels dans l'usage des espaces privatifs. »

Mais quand même, « les spécialistes le reconnaissent : le "desk sharing" peut déstabiliser les salariés ». J'aime bien le "peut"... « "Ce système remet en question leurs habitudes de travail", concède Juliette Marmissolle-Daguerre. "Certains collaborateurs peuvent être perturbés en ayant le sentiment de ne plus être "chez eux". Ils doivent apprendre à se représenter leur poste de travail, non plus comme un bureau, mais comme un espace dédié dans l'immeuble. » Je vois ce qu'est un bureau. Je ne vois pas ce qu'est un "espace dédié dans l'immeuble"... C'est bien un langage de consultant : ça ne veut rien dire, mais ça en impose. C'est comme cela qu'on "gère le changement"...

Plus sérieusement, tous les collaborateurs sont perturbés par « le sentiment de ne plus être "chez eux". » Seulement les personnes le vivent plus ou moins bien et l'extériorisent plus ou moins. Mais tous se détachent un peu plus de l'entreprise...

 

Chez Renault, une expérimentation de bureaux partagés « "s'est mal passée", rapporte Alain Eudier. "Les salariés étaient désorientés et la direction a officieusement stoppé le projet sous la pression des syndicats." »

 

La conclusion de l'article apporte un peu de sagesse : « Malgré les économies potentielles en jeu, les entreprises y regarderont donc sans doute à deux fois avant de se lancer. "Nous ne nous interdisons pas de réfléchir aux manières innovantes d'aménager l'espace, mais nous ne jouerons pas les apprentis sorciers", confirme Dominique Denis chez Axa. "Le lien social et le besoin de repères des salariés sont trop importants pour que nous prenions des risques inconsidérés. »

 

Ma conclusion : les "aménageurs d'espace" ont encore du travail à faire pour arriver à optimiser correctement et humainement l'espace de travail. Il ne doit être ni trop petit, ni trop grand. Mais il est regrettable que certains apprentis sorciers ne voient que les économies sans prendre en compte les besoins réels des hommes.

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