France Télécom : départ de Louis-Pierre Wenes le n° 2 du groupe
Je viens d’assister ce soir, à l’émission Mots croisés de France 2 dont un des thèmes était la situation chez France Télécom.
Débat intéressant le jour où Louis-Pierre Wenes, le n° 2 de France Télécom “a donné sa démission”. Mais rassurez-vous pour lui : en attendant qu’il fasse valoir de ses droits à la retraite (il a 60 ans), il est recasé comme “conseiller du Président”. Cela ne s’invente pas !
Comme l’a dit Jean-Paul Portello, délégué Sud-PTT Rhône-Alpes Auvergne de France Télécom, lors de l’émission Mots Croisés, Wenes n’a pas été qu’un cost killer, mais un serial killer. Mots très durs, mais pas si loin que cela de la réalité.
En tous cas, les langues se délient, car par un phénomène assez incompréhensible, il y avait une véritable omerta dans cette entreprise. Qu’ont fait les syndicats ? Pas grand-chose comme je l’ai dénoncé dans un billet précédent. Ils ont beau jeu de se réveiller maintenant et de “tirer sur l’ambulance”.
Jean-Paul Portello ne s’est pas privé de dénoncer la terreur qui régnait dans ce groupe et le flicage dont sont victimes les personnels des plates-formes d’appels.
Jean-Pierre Le Goff a fait de très bonnes interventions en particulier lorsqu’il a dénoncé les « jeunes cadres dynamiques et performants », sans expérience, mais déstructurant un service en moins de deux et par la même occasion les personnes de ce service…
Xavier Darcos, le ministre du Travail et Benoit Roger-Vasselin du Medef n’ont pu que constater l’ampleur des dégâts.
Pour comprendre ce qui s’est passé chez France Télécom, il est très intéressant de lire l’article du Nouvel Obs du 24 septembre dernier : « L’homme qui fait trembler France Télécom ».
D’abord, on découvre le vrai visage de Louis-Pierre Wenes : « Louis Pierre Wenes, bras droit de Didier Lombard, le PDG de France Télécom, ne regrette rien. […] « On a fait parler les morts ! » Installé dans le divan de son bureau à Arcueil, en banlieue parisienne, Louis-Pierre Wenes, le patron des activités françaises de France Télécom, désormais connues sous la marque Orange, est aussi carré dans son physique que dans ses certitudes. Redoute-t-il de perdre son poste après la vague de suicides ? «Je considérerais alors que je suis victime d'une monstrueuse manipulation», répond-il, glacial. Droit dans ses bottes, Wenes, 60 ans, semble plus furieux qu'embarrassé ou peiné. Pour lui, apparemment, cette affaire a été montée en épingle par les médias, instrumentalisés par les syndicats avant les élections au conseil d'administration le 15 novembre prochain. Dans son groupe, en effet, on ne se suicide pas plus qu'avant, et pas plus qu'ailleurs. » On ne peut pas être plus éloigné de ce qui se passe sur le terrain.
Mais comment en est-il arrivé là ?
« Efficacité, économies et résultats financiers ont toujours été les “mantras” de Louis-Pierre Wenes. Issu d'une famille protestante assez modeste (son père était chef de fabrication), ce centralien a débuté chez Matra, mais a ensuite fait carrière dans le conseil, chez Coopers ?& Lybrand puis AT. Kearney. […] Ses méthodes lui valent de solides inimitiés et les qualificatifs de “butor”, voire de “boucher”. “Wenes n'a jamais cessé d'être autre chose qu'un consultant pour qui les gens sont des variables d'ajustement, dit un ancien du groupe. Le management, la psychologie, ce n'est pas son truc.” »
Et comme tout “bon” consultant, il sait toujours retomber sur ses pattes. Si il y a des problèmes, ce n’est pas de sa faute : « Wenes se reconnaît-il dans cette gestion par la terreur ? “Pas du tout ! répond-il en haussant le ton. Je revendique simplement un management exigeant.” Pour lui, le problème est simple : “Une petite partie des employés n'arrivent pas à changer de culture : passer du 22 à Asnières à la Livebox internet.” Vu d'Arcueil, le désarroi des plus fragiles représente en quelque sorte le dommage collatéral d'un formidable succès : avoir transformé l'ex-monopole des télécoms en champion mondial des industries de l'information. »
France Télécom avait besoin de changer, bien sûr, mais cela aurait pu se faire différemment : « Y avait-il une fatalité à ce que ce succès soit payé en détresse ? Non, répond un expert en ressources humaines : “Entre 1995 et 2002, Michel Bon avait initié le changement de culture sans pour autant pourrir le climat. Sur l'organisation du travail, les rétributions, les carrières, il avait même su donner un pouvoir réel au terrain.” Seulement, gérant une entreprise publique, Bon n'avait pas la possibilité d'effectuer des acquisitions en payant par échange d'actions. Il a donc surpayé en cash l'opérateur britannique de téléphone mobile Orange (qui a ensuite donné son nom à l'ensemble du groupe). Fin 2002, après le krach internet, France Télécom s'est retrouvé étranglé par sa dette. Bombardé pompier d'un groupe au bord du dépôt de bilan, Thierry Breton fait alors mener un “audit éclair” par une armée de consultants. Formé à la restructuration brutale par Jean-Marie Descarpentries chez Bull, l'ex-patron de Thomson Multimédia met France Télécom “sous tension”. Certains cadres se souviennent encore de la violence du séminaire au Tapis Rouge où les patrons de filiales sont appelés sur scène pour se voir humiliés publiquement... »
C’est à ce moment-là que « Louis-Pierre Wenes, alors responsable d'AT. Kearney France, est recruté pour réaliser un plan massif d'économies sur les achats. Une mission qu'il mène tambour battant. En février 2005, Didier Lombard, l'ex-directeur général de l'Industrie devenu mentor de Thierry Breton, remplace au pied levé son protégé, nommé au ministère de l'Economie, à Bercy. […]Le nouveau PDG semble apprécier l'efficacité brutale de l'ex-consultant. “Louis- Pierre Wenes est à l'origine de 6 milliards sur les 15 milliards d'euros d'économies du plan Breton entre 2002 et 2006”, répète-t-il souvent, à l'époque. »
Et, « en septembre 2006, […] Lombard donne donc les clés de la France à Louis-Pierre Wenes.
Il sait pourtant que l'homme est peu apprécié des quadras de l'ère Bon : Didier Quillot, Jean-Noël Tronc, Olivier Sichel et quelques autres dirigeants préfèrent quitter la maison plutôt que passer sous son commandement. “Nous avions la possibilité de trouver de beaux postes ailleurs, dit l'un des transfuges de moindre rang. Mais, à la base, les gens souffrent en silence Ou, pour les plus fragiles, se jettent par la fenêtre...” »
Mais Wenes réagit fortement à ces paroles : «En 2005-2006, le business a fortement ralenti, ce qui nécessitait une gestion plus serrée, plus professionnelle. Certains de ces managers n'étaient pas en harmonie avec ce type d'environnement. C'est tout !»
Et les plans se superposent : « Après le plan Thierry Breton, qui avait déjà fait partir 20 000 salariés de 2003 à 2006, Didier Lombard en remet une couche : son plan NExT prévoit 20 000 départs supplémentaires. Et Louis-Pierre Wenes l'exécute avec les méthodes musclées dont il n'a jamais fait mystère : «Je mets la pression tout le temps, je ne laisse pas de marge de manoeuvre», explique- t-il en mai 2007 à “la Tribune”. »
Mais si « les salariés les plus aptes au changement sont partis dans la première vague », « à la fin, il ne restait que les gens les plus difficiles à faire bouger...» D'où, « l'augmentation de la pression pour les dégoûter. »
Et Lombard dans tout cela ? Le Nouvel Obs semble le dédouaner : « Etait-il conscient de cela ? “Il ne connaissait pas l'étendue du malaise : dans ce groupe, on ne parle pas au président des sujets qui fâchent”, explique un cadre. » C’est souvent ce qui se passe dans les grands groupes… Mais cela n’en diminue pas la responsabilité de Lombard. C’est lui le patron et c’est son problème d’être informé de ce qui se passe dans son groupe. Ce n’est pas facile, mais tout bon patron a son propre réseau…
Alors le départ de Wenes ressemble bien au fusible qui veut protèger le PDG.
Pour combien de temps ?