Les consultants, des virus ?… (1)

Publié le par Bernard Sady

Un  article de Muriel Jasor dans les Echos du 22 février dernier a failli bousculer le monde des consultants : « Les consultants confrontés à la montée des critiques ». Mais qu’ils se rassurent, Muriel Jasor a bien travaillé en tentant de désamorcer une belle bombe venue d’outre-Atlantique…

 

Ceux qui me lisent régulièrement savent que je ne porte pas les consultants dans mon cœur… Et avec quelques raisons… légèrement confirmées par Muriel Jasor, mais surtout par Andrew Hill, auteur d’une petite bombe anti-consultants dans le Financial Times du 14 février : « A doctor’s note for virulent consultants » (Une ordonnance pour consultants virulents…)

 

Il commençait son article en citant un capitaine d’industrie : « Les consultants agissent comme un virus : vous en laissez entrer un et ils infectent toute une organisation. »

 

Cette citation est reprise par Muriel Jasor en début d’article, et elle commente : « A n'en pas douter, nombre de consultants ont dû juger ces propos caricaturaux, voire blessants. La phrase témoigne néanmoins d'une réalité, celle d'une incompréhension grandissante entre entreprises et cabinets de conseil. Le dernier baromètre du syndicat patronal Syntec Conseil en management indique que seulement 37 % des consultants considèrent que leurs relations avec les entreprises ont évolué positivement, contre 61 % auparavant. »

 

Et elle émet des hypothèses : « Les cabinets paient-ils les excès de la période faste, où certains affichaient morgue, arrogance et honoraires hypertrophiés ? Ou bien leur reproche-t-on un manque d'innovation dans un monde devenu très complexe ? »

 

Sa réponse laisse perplexe et on a la nette impression qu’elle botte en touche : « Soucieuses de proposer des solutions plus en phase avec la demande des clients, quelques sociétés de conseil repensent leur façon de travailler avec une clientèle de plus en plus avertie - de fait, les entreprises recrutent beaucoup d'anciens consultants. Leur objectif est de proposer une alternative au modèle anglo-américain, et de faire la démonstration de la réalité de leur valeur ajoutée via la réhabilitation de la créativité, de l'ouverture d'esprit et surtout du facteur humain. » En fait, elle répond à côté des questions posées, tactique classique quand on veut éviter les questions qui fâchent et qu’on veut “noyer le poisson”…

 

Il est quand même surprenant de lire que « quelques sociétés de conseil » (uniquement quelques !) sont « soucieuses de proposer des solutions plus en phase avec la demande des clients. »

Depuis quelques années, les consultants veulent vous expliquer comment être en phase avec les désirs de vos clients, mais seulement quelques-uns commencent à s’appliquer à eux-mêmes ce principe…

 

Le problème est de savoir pourquoi les consultants n’appliquent pas ce principe. Et là, Muriel Jasor n’apporte aucune réponse.

 

Cependant, un encadré en fin d’article donne quelques indications sur « ce qui est reproché aux consultants » :

« -des solutions standardisées sur la base d'études comparatives ;
-un manque d'écoute des besoins spécifiques et terrain des clients ;
-pas assez d'assistance à la mise en oeuvre des solutions préconisées ;
-une transmission insuffisante de leur savoir-faire ;
-des profils trop formatés ;
-des honoraires qui ne sont pas à la hauteur de la qualité des prestations fournies.
 »

 

Tout ceci est exact, mais loin d’être exhaustif et ce ne sont pas les reproches les plus fondamentaux… On est loin des reproches faits par Andrew Hill.

 

Dans la suite de son article Muriel Jasor présentera « une alternative européenne » qui se veut apporter des solutions aux dérives du modèle anglo-saxon.  

 

Mais elle n’échappe pas à de nouvelles “tartes à la crème” :

Par exemple « l’élargissement du regard » : « Chez Weave, une société de conseil en stratégie opérationnelle, on n'hésite pas à faire intervenir, en marge des missions, la romancière Alice Ferney ou le général Gil Fiévet, spécialiste des stratégies militaires, pour cultiver l'esprit d'ouverture. Eurogroup Consulting héberge des résidences d'artistes et passe volontiers par le truchement du théâtre pour mobiliser les équipes salariées de ses clients. »

C’est quand même incroyable qu’il faille que ce soit dans le cadre de l’entreprise que de nombreux cadres « élargissent leur regard »… C’est parce qu’ils sont surbookés qu’ils n’ont pas le temps de lire, d’aller au théâtre ou aux concerts, ou de faire des activités sociales ? « Ne vous en faites pas » leur dit l’entreprise ou plutôt les consultants infiltrés dans ces entreprises, « je m’en occupe »…

 

Je continue de citer Muriel Jasor qui poursuit sur une nouvelle tarte à la crème : le retour de l’humain dans les entreprises. « Mozart Consulting, lui, s'appuie sur trois indices maison (le bien-être au travail, la dissipation de l'efficacité collective et la conduite collaborative du changement) pour “appréhender l'humain dans l'économique” et non l'inverse. »

 

Louable ce retour de l’humain. Géniale cette conduite du changement 2.0 ! Mais au fait, une question, pourquoi l’humain a-t-il quitté l’entreprise ? Et si c’était parce que certains consultants avaient  préconisé des méthodes qui l’ont chassé (ré engineering, downsizing, valeur pour l’actionnaire, et j’en passe...) ? Nous verrons plus loin que c’est une des tares profondes du monde des consultants : pour se donner du travail, ils vont d’un extrême à un autre. Vous êtes centralisé ? Ils préconiseront de décentraliser. Vous êtes décentralisé ? Il vous faut centraliser…

Du travail pour encore quelques siècles…

 

Terminons  avec Muriel Jasor qui veut complètement nous rassurer, car « tous ces pros du conseil ont compris qu'optimiser un processus d'achat, externaliser une fonction de l'entreprise ou encore investir dans un centre de profit partagé aident à la réalisation d'économies, mais pas nécessairement à la performance ou à l'augmentation de part de marché d'un groupe. » Il serait temps…

 

C’est finalement un écran de fumée qui cache les véritables tares du monde des consultants.

Le résultat ? C’est que l’article de Muriel Jasor a été repris dans de nombreux blogs (tenus souvent par… des consultants…), mais sans qu’aucun n’aille à la source consulter l’éditorial du Financial Times. Les consultants peuvent remercier Muriel Jasor : elle a presque réussi à désamorcer une belle bombe…

 

Nous verrons dans un prochain article ce que dit Andrew Hill.

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