Les consultants, des virus ?… (3)
Dans un premier billet, j’avais commenté un article de Muriel Jasor dans les Echos du 22 février dernier : « Les consultants confrontés à la montée des critiques ».
J’expliquais que Muriel Jasor y noyait le poisson et ne reprenait que quelques faibles reproches faits aux consultants sans remonter aux véritables problèmes de fond et surtout sans reprendre l’argumentation centrale d’Andrew Hill, auteur d’un article retentissant dans le Financial Times du 14février 2011, article qu’elle citait.
Et je terminais en disant que Muriel Jasor avait presque réussi à désamorcer cette belle bombe venue d'outre-Manche.
Dans un second billet, j’ai repris l’article d’Andrew Hill et sa métaphore comparant les consultants à des virus. Et pour illustrer, j’ai donné l’exemple actuel de la contamination de l’université française par les consultants à l’occasion de la mise en place de l’autonomie des universités et des appels d’offre pour le grand emprunt.
Il nous reste à voir d’autres points de la métaphore d’Andrew Hill, en particulier la résistance de ces virus…
Andrew Hill écrit dans son article :
« Les virus sont résistants. Les cabinets-conseil survivent aux scandales et même à l’échec de leurs clients. Mais ils ont besoin de leurs sociétés hôtes pour survivre et garantir leurs revenus sur le long terme. Ebola Consulting Group serait une opération de courte durée. Influenza & Company pourrait se prolonger indéfiniment. »
C’est vrai que la résistance des virus-consultants est impressionnante.
D’abord, en cas d’échec ou de semi-réussite de la mission, ils n’ont jamais tort…
Comme l’explique Stéphane Lefrancq dans le chapitre « Il nous faut un consultant » (du “Petit bréviaire des idées reçues en management” – La Découverte) : « Le succès est par essence partagé et repose autant sur les épaules des salariés de l’entreprise conseillée que sur celles du cabinet effectuant la prestation. Symétriquement, le client peut dans cette perspective, être tenu comme responsable de l’échec d’une mission, car s’il “n’obtient pas ce qu’il attend d’une relation de conseil, il est bien plus vraisemblable que cela soit symptomatique d’une incapacité du client à être conseillé que le reflet des [in]compétences du consultant.” »
Et le piège ou la manipulation, comme vous voulez, se referme sur le malheureux donneur d’ordre : « Admettre un échec va de ce fait être difficile car la responsabilité va en incomber au donneur d’ordre et l’amener ainsi à se déjuger alors même que des sommes importantes auront été engagées. » D’où le peu d’évaluation des prestations de conseil…
Mais ce plan diabolique (après tout, le premier consultant a été le Serpent conseillant Eve au jardin d’Eden…) est encore plus vicieux : « La prestation est de toute façon vouée à donner satisfaction. En effet, non content d’échapper à l’évaluation pour préserver les intérêts du donneur d’ordre, le consultant peut en outre plaider que l’efficacité des prescriptions formulées repose sur les attentes du client lui-même et non sur leur mise en œuvre par le cabinet : “Une solution de conseil ne sera donc considérée comme efficace que dans la mesure où les dirigeants des entreprises clientes croient dans son efficacité.” »
Vous n’êtes toujours pas convaincu ? C’est alors l’argument d’autorité : « La démarche aboutit nécessairement à une amélioration de la situation, puisque tel fut le cas chez de nombreux autres clients. »
De toutes manières, vous n’aurez jamais le dernier mot : « La dynamique du changement dans laquelle se place délibérément la démarche de conseil rend de toute façon le jugement déplacé, puisqu’il se réfère à une situation passée dont la seule obsolescence justifie le statut d’infériorité. Comment aller contre le sens de l’histoire ? »
Un conseil à mes lecteurs qui seraient tentés de faire quelques remarques pertinentes et néanmoins désobligeantes sur la qualité des prestations de quelque consultant sévissant dans leurs entreprises : à moins de vouloir changer d’entreprise ou d’avoir une vocation de bouc émissaire, il ne faut jamais porter la moindre critique envers un consultant sauf si vous êtes le donneur d’ordre ou le grand patron… Le consultant le saura forcément et comme lui, il a l’oreille du donneur d’ordre (qui ne l’oublions pas ne saurait se déjuger), il lui sera facile d’expliquer que vous êtes réticent au changement et qu’il faut vous éliminer ou au minimum vous neutraliser… J’ai déjà vu… Parois, il faut savoir tenir sa langue ou sa plume, même si on vous demande votre avis… Il faut le savoir, un consultant ne peut accepter la critique ou la contradiction : c’est lui qui sait…
Vous pourriez penser qu’une fois terminée (plus ou moins bien) la mission confiée, le consultant vous dira “au revoir” et ira voguer vers d’autres cieux. Hélas non, bien au contraire. Comme tout virus, une fois installé, il cherchera à renforcer ses positions. C’est ce qui est demandé à chaque consultant des cabinets conseil : une mission terminée doit déboucher sur une autre mission chez ce même client. Tous les arguments sont bons. Car très souvent, les consultants sont meilleurs dans ce genre de sport (vous persuader de la nécessité d’une nouvelle prestation) que dans le conseil lui-même…
Et comme pour les virus les plus virulents, il n’est pas facile de se séparer d’un consultant : vous le sortez par la porte, il entre par la fenêtre. Vous le virez par la fenêtre, il revient par la cheminée… déguisé en Père Noël…
Une autre marque de sa résistance, c’est qu’il sait trouver l’équilibre entre le fait de vivre aux crochets de son hôte, tout en le maintenant en vie. Il doit donc donner les conseils suffisants pour que son hôte survive – ou au minimum ne pas lui donner de conseils qui pourraient le mener à la faillite – mais pas trop pour que le consultant continue à justifier la nécessité de nouveaux conseils…
Nous verrons dans un prochain billet qu’Andrew Hill explique cependant aux consultants qu’ils ont quelques raisons de s’inquiéter.