Situation économique : la dette.

Publié le par Bernard Sady

Après avoir abordé la baisse du PIB dans les principaux pays industrialisés, les résultats des stress tests sur les grandes banques américaines, le dollar et le G20, il me faut aborder le déficit abyssal des Etats qui est un des points chauds de l'actualité.


La presse aborde ce point de la dette depuis quelques semaines en expliquant qu'il va bien falloir rembourser un jour... Qui ? Le contribuable, bien sûr !



Par exemple, Dominique Seux expliquait le 20 avril dernier dans Les Echos que « La dette » serait « la crise d'après » :

« C'est un nouveau mur qui se construit milliard après milliard, plan de relance après plan de relance. Et dont on commence seulement à prendre conscience : celui de l'endettement public. [...] Partout, et pas seulement aux Etats-Unis, les vannes sont largement ouvertes. »


Il ajoute : « Pour l'instant, cette explosion des déficits et des dettes publiques - à plus de 80 % du PIB à Paris et à Londres - ne constitue ni un souci ni un objet de débat. Pas un souci : les Etats se financent sans trop de difficulté sur les marchés, si l'on excepte le coup de frayeur du Trésor britannique à la veille du G20 du 2 avril. Pas un objet de débat : la crise est d'une violence telle qu'elle anesthésie tout le reste. Et d'autant plus qu'une part importante des déficits est subie (perte de recettes) plus que choisie (hausse des dépenses). Mais cette indifférence ne pourra durer. Techniquement, des décisions sont attendues sur la dette de la Sécurité sociale en France. Economiquement, il serait curieux de remplacer un excès d'endettement privé par un excès d'endettement public. »


Pour lui, il n'y a que quatre solutions pour résorber cette dette : « effacer les dettes par l'inflation, augmenter les impôts ou couper dans les dépenses. La quatrième consiste à espérer que le retour des plus-values fiscales générées par la croissance suffira, mais c'est rêver éveillé. » On laisse donc tomber cette dernière solution.


Et que risque-t-il de se passer ? « Au plan international, on devine que les Etats-Unis seront moins intransigeants sur la stabilité des prix que la Chine, qui ne veut pas que ses créances américaines perdent de leur valeur. Le sujet divisera peut-être aussi l'Europe, où la BCE veille. Partout, néanmoins, les prélèvements augmenteront : il est difficile d'appeler l'Etat au secours puis de récuser l'impôt. »



Patrick Artus étudie les mêmes pistes fin avril dans les Echos avec un article "Endetter les Etats, c'est trop facile" :

« Le malheur est qu'on ne peut pas compter sur la croissance, à partir de 2011, pour réduire suffisamment les déficits publics pour que l'endettement soit stabilisé. Sentant cette difficulté, certains gouvernements ont publié des prévisions de croissance totalement irréalistes : 3,5 % par an à partir de 2011 aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Mais personne ne croit que les grands pays de l'OCDE puissent retrouver leurs taux de croissance d'avant la crise, dopés par la hausse de l'endettement. On entre maintenant dans une période probablement longue de désendettement. Si la dette des ménages et des entreprises progresse maintenant comme leurs revenus, et pas plus vite, la croissance sera liée à celle des revenus, c'est-à-dire aux gains de productivité, et sera difficilement, à moyen terme, supérieure à 2 % aux Etats-Unis, à 1,25 % ou 1,5 % en Allemagne, en France, au Royaume-Uni, à 1 % en Espagne et en Italie.


« Que devront alors faire les gouvernements ? Réduire les dépenses publiques sera très difficile. Il ne resterait alors qu'une seule voie : une hausse, qui devra être forte, de la pression fiscale. Il faudra alors en subir les conséquences : hausse du chômage structurel, découragement des investissements, délocalisations accrues vers les pays émergents à fiscalité favorable. »


La conclusion n'est pas réjouissante : « Le scénario le pire est bien celui où, à partir de 2011, il faudrait augmenter les impôts et où, en même temps, les déficits publics de 2009-2010 auraient été peu efficaces pour soutenir l'activité. C'est une réelle menace. On peut donc penser qu'un peu plus de prudence budgétaire aurait été préférable. »

Curieusement, Patrick Artus n'envisage pas l'inflation...



Voyons maintenant où en est la dette des deux pays anglo-saxons dont la théorie et la pratique économique sont à l'origine de cette crise : la Grande-Bretagne et les Etats-Unis.



Concernant le déficit de la Grande-Bretagne, j'en avais parlé il y a quelques semaines dans un billet intitulé "Apocalypse Now".


La situation ne s'est pas vraiment améliorée, au point que la Grande-Bretagne risque de perdre sa notation AAA...


Voici ce qu'en dit Isabelle Chaperon, correspondante à Londres, dans Les Echos du 22 mai dernier : « L'agence Standard & Poor's (S&P) a provoqué un accès de défiance sur la livre hier, en modifiant à la baisse la perspective attachée à la notation du Royaume-Uni. S&P estime que la dette publique pourrait atteindre 100 % du PIB en 2013, "même en tenant compte de resserrements fiscaux supplémentaires", un niveau incompatible avec la notation AAA, dont elle bénéfice actuellement. De quoi embarrasser un peu plus Gordon Brown, mis en cause par l'opposition pour la manière dont il a laissé s'envoler les déficits publics. En janvier, lors de la dernière évaluation, S&P avait chiffré à 83 % le fardeau de la dette britannique à horizon 2013, contre 49 % en 2008. Mais l'agence souligne que l'endettement public se dégrade plus rapidement que prévu outre-Manche. En particulier, le "soutien du gouvernement au secteur bancaire pourrait coûter entre 100 et 145 milliards de livres, soit entre 7 et 10 % du PIB estimé de 2009", souligne David Beers, analyste crédit chez Standard & Poor's. La perspective d'élections l'an prochain risque en outre de faire perdre du temps pour prendre les mesures d'austérité adéquates. »



Quant à la dette des USA, c'est Loïc Abadie qui fait le point sur son blog "Tropical Bear" : « L'endettement de l'état US, après une petite pause en décembre 2008 et janvier 2009 a repris sa course en avant, avec une augmentation de 613 milliards de $ en seulement 3 mois (du 31/01/09 au 30/4/09). En un an, les deux plans de fuite en avant (Bush/Paulson et Obama/geitner) ont provoqué une hausse de la dette publique nette de plus de 1730 milliards de $. »


La dette des USA est à ce jour de 11 305 594 490 199,65 $ (voir ce taux en direct sur le site Treasury direct), ce qui fait plus de 11 000 milliards de dollars. Le PIB des USA ayant été de 14 264,6 milliards de dollars en 2008, on arrive à une dette qui représente presque 80% du PIB...


Il n'a pas fallu attendre longtemps pour que cette dette inquiète les marchés. C'est ce qu'explique Steven C. Johnson dans lesechos.fr du 22 mai :

« Le dollar vient de vivre une semaine désastreuse, conclue vendredi par un plus bas de l'année, et sa débandade risque de se poursuivre un certain temps car les déficits colossaux des Etats-Unis préoccupent de plus en plus les investisseurs. La devise américaine a perdu près de 3,5% de sa valeur sur la semaine face à un panier de monnaies de référence et il a touché vendredi son plus bas niveau de 2009. Face à l'euro, elle a franchi le seuil de $1,40 pour la première fois depuis le 2 janvier. »


Pourquoi ? « A l'origine de ce dérapage se trouve le regain d'inquiétude pour la note "triple A" (AAA) des Etats-Unis, qui leur assure un financement relativement aisé sur les marchés financiers. Cette situation pourrait être remise en cause, comme c'est le cas depuis jeudi pour la Grande-Bretagne, l'agence Standard & Poor's ayant souligné le risque de voir le Royaume-Uni perdre ce fameux "triple A" en raison de l'envolée de sa dette publique.


« Or les Etats-Unis sont dans une situation largement comparable en raison des dépenses engagées pour lutter contre la crise. De plus, les taux d'intérêt de la Réserve fédérale devraient rester proches de zéro pendant un certain temps afin d'adoucir les effets de la hausse du chômage et de la faiblesse de la croissance.


« Cette situation commence à effrayer les investisseurs, et donc à les détourner des actifs américains : les rendements des bons du Trésor sont montés ces derniers jours à leur plus haut niveau depuis six mois et le dollar accuse désormais un repli d'environ 10% depuis mars. »



Le scénario envisagé par le LEAP d'une insolvabilité de la Grande-Bretagne suivie de celle des USA n'est peut-être pas si loin...



Quant à la France, la situation n'est pas beaucoup plus brillante... C'est ce que reconnaissait implicitement Eric Woerth interviewé par les Echos du 18 mai : « La maîtrise de la dépense publique, même en période de crise, est une priorité absolue. Les dépenses n'évolueront pas plus rapidement que l'inflation, hors dépenses de crise. A ce stade, nous prévoyons une hausse des prix de 1,4 % en 2010. Nous souhaitons réduire le déficit budgétaire dès l'an prochain. »


A la question concernant l'évolution des déficits publics, il botte en touche et renvoie la réponse en juin : « Nous réviserons la prévision en juin, lors du débat d'orientation des finances publiques. Les recettes fiscales, en particulier l'impôt sur les sociétés, ne sont évidemment pas bonnes. Elles pourraient s'établir aux niveaux de 2002 ou 2003. Nous réviserons le déficit de la Sécurité sociale en commission des comptes, le 15 juin. »

Mais il a un début de solution : « Si la masse salariale baissait de 1 %, au lieu d'être stable, cela représenterait 2 milliards d'euros de recettes en moins. »

Les Echos insistent : « Comment résorbera-t-on les déficits sans augmenter les impôts ? » Sa réponse laisse pantois... :

« Nous devrons agir sur les dépenses publiques de manière beaucoup plus forte. Elles progressaient par le passé de 2 % par an et nous nous efforçons aujourd'hui de les contenir à 1 % par an. » Mais, ce n'est pas ça qui empêchera le déficit de monter à 6% pour cette année, et 8% l'année prochaine, selon l'OCDE...


Il continue : « Je souhaiterais qu'après 2010, elles puissent suivre une évolution limitée à l'inflation ou aussi proche que possible du "zéro volume", alors que seules les dépenses de l'Etat suivent aujourd'hui cette discipline. Si nous y parvenions, cela représenterait 10 milliards d'euros d'économies supplémentaires par an, et avec une croissance retrouvant un rythme de 2 % par an, on pourrait ainsi réduire le déficit public d'un point de PIB chaque année, une fois la crise passée. »



C'est Jean-Marc Vittori dans les Echos du 26 mai qui lui fait la meilleure réponse : « le gouvernement finira par augmenter l'impôt. Ce n'est pas une fatalité. Mais une pente douce où il va de nouveau glisser. Pas tout de suite, bien sûr. Dans la crise, nous continuerons de nous enfoncer dans le déficit, dans une insouciance presque joyeuse. La dette publique va faire boule de neige. Mais la crise finira bien un jour ou l'autre. Et ce jour-là, il faudra passer aux choses sérieuses et réduire ce maudit déficit. Pas seulement pour calmer Bruxelles, comme le susurrent quelques pauvres d'esprit. Mais aussi pour donner un peu d'air à l'action publique, pour attirer les prêteurs à doux taux d'intérêt, pour dissuader les Français d'épargner davantage que les habitants de tous les pays développés comme ils le font aujourd'hui par crainte de futures hausses d'impôts ou de pensions de retraite laminées. »


Il en vient à la réduction du déficit : « L'étape suivante sera encore moins évidente. Comment donc réduire le déficit ? Le gouvernement parle de baisser les dépenses. Il met d'abord en avant le non-remplacement de la moitié des fonctionnaires qui vont partir à la retraite l'an prochain. C'est évidemment une mesure essentielle. Ceux qui la dénigrent en expliquant qu'il n'est pas opportun d'économiser 1 milliard d'euros en supprimant 34.000 postes en pleine montée du chômage ont des oeillères. Quand l'administration embauche, elle n'accroît pas ses dépenses pour un an mais pour soixante - quarante ans de vie active et vingt de retraite. En supprimant 34.000 postes, elle économise donc 50 milliards d'euros (total des salaires et retraites dues).


« Le problème, c'est que ça ne suffit pas à court terme. Le gouvernement parle alors de la RGPP (révision générale des politiques publiques). Le problème, c'est que ça suffit encore moins. Après un travail astronomique d'audit, d'analyses et de comités au plus haut niveau, l'Etat supprime quelques postes par-ci et quelques postes par-là, en suscitant souvent des irritations qui compliqueront d'ultérieures réorganisations du travail. Réduire la dépense publique avec la RGPP, c'est comme vouloir creuser une piscine à la petite cuillère : on peut y arriver, mais ça prend beaucoup trop de temps. Sans compter que la révision ne touche pas les collectivités locales, qui embauchent allègrement 50.000 employés par an.


« Nous avons en France "la culture de la dépense", soulignait il y a quatre ans le rapport Pébereau sur la dette publique, qui reste d'une cruelle actualité. Pour vraiment réduire les dépenses publiques, l'Etat devra complètement changer sa façon de travailler, comme il l'a fait en Suède, au Canada ou en Nouvelle-Zélande. Une telle révolution ne pourra pas s'accomplir dans des réunions interministérielles. Elle devra constituer le coeur d'un programme électoral. Pour l'élection présidentielle de 2012, il sera trop tôt. L'économie sera encore très fragile. 2017 alors ? Les éventuels changements feraient sentir leurs effets dans une décennie... En attendant, il faudra bien réduire ce satané déficit. Voilà pourquoi l'impôt augmentera. »



C'est d'une implacable logique, même si ce n'est pas réjouissant.

Mais cela ne sert à rien de se voiler la face...

Publié dans Economie

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